Yolande Gaudet, 84 ans

Béarn

Vous ne me croiriez pas. Je remercie tout mon passé pour être ce qu’il est et aussi de m’avoir préparé. Mon passé m’a permis d’en savoir suffisamment sur les arbres, les animaux (et leurs caractères), les rites anciens, les relations humaines difficiles, les anciennes expressions oubliées dans l’armoire des vieux jours, les us et coutumes des anishnabe et sur quelques recoins du cœur des humains après plus de 350 entrevues à vie pour être capable d’arriver devant cette dame, prêt. Avant maintenant, je ne suis pas certain que j’aurais réussi à faire deux heures d’entretien avec l’acuité d’intervieweur que mérite Yolande.

J’arrive donc devant elle en ce chaud après-midi de septembre, dans sa chambre de résidence où elle se trouve restreinte depuis qu’elle a quitté les bois. Je n’ai que mon savoir, mon savoir-faire, mais c’est définitivement mon savoir-être qui me servira à cet instant. Je n’ai que ça, mais c’est déjà ça. Les murs sont tapissés de peintures notamment autochtones et de nature. Je la sens vive d’esprit, mais après lui avoir expliqué le projet “Aînés d’exception”, elle me dit qu’elle est plus ou moins intéressée, parce que ce qu’elle avait à raconter, elle l’a écrit dans l’un ou l’autre de ses 7 livres. J’explique que je suis un « écouteux » plus qu’un « liseux » et que j’aimerais bien l’entendre et discuter à l’aise. De fil en aiguille, je note peu, mais j’écoute beaucoup. J’entre en zone de confidences rares où mon âme me demande d’être alerte, pour distiller les moindres minutes qui passent en sa compagnie, parce que des rencontres comme celles-là se pointent aussi rarement qu’une éclipse lunaire.

Me croiriez-vous si je vous disais que la mère de Yolande ne l’a jamais prise dans ses bras après un an de vie? Tout le réconfort du monde, elle l’a trouvé en serrant des arbres dans ses bras, gobant leur énergie régénératrice, aussi souvent qu’elle le souhaitait.

Me croiriez-vous si je vous disais que sans y croire tant que cela, elle s’est mise à lire l’avenir des gens qui en font la demande, dans les feuilles de thé, collées aux parois de la tasse une fois la tasse bu? Elle a prédit des naissances de petits-fils en voyant un berceau et, par des feuilles bien singulières, des décès tout proches.

Vous ne me croiriez pas si je vous disais qu’elle est d’une famille où les deux bords de parenté sont d’excellents conteurs-menteurs et que par association, des gens ont souvent cru à moitié ce qu’elle disait. Pourtant, tout son profil fier et franc appelle la véracité, telle une promesse faite devant Dieu.

Vous ne me croiriez pas si je vous disais que l’autochtone qu’elle a marié l’a mise enceinte avant le mariage et qu’à cause de cela, sa mère à elle les a mis dehors de la maison. Elle a dû aller accoucher dans le sud de la province sans en parler à personne, malgré qu’elle a dû revenir sortir son futur époux de prison deux semaines avant d’accoucher, puis laisser l’enfant en pseudo-adoption, se marier, adopter son propre enfant et revenir à la maison défier sa mère pour lui faire accepter le nouvel enfant.

Vous n’oseriez pas me croire si je vous disais qu’elle affirme sans l’ombre d’un doute qu’elle a eu 4 enfants “fiascos”. Un qui, dans la vingtaine est devenu paraplégique; une fille qui s’est suicidée; un fils qui a fait de la drogue dure et qui est viré schizophrène chronique et que, bien qu’elle les aime, elle a vécu tous les tracas du monde comme mère… J’épargne les détails. « Lorsqu’on en perd une, les autres triplent de valeur automatiquement. »

Vous ne me croiriez pas si je vous disais qu’elle a fait l’expérience longue et toute naturelle pour elle d’apprivoiser, à son chalet rustique du lac St-Amant, un renard, une moufette délicate comme tout, un vison noir qui venait quémander les carcasses de perdrix, une marmotte douce à flatter pendant qu’elle mange et qui cogne à la fenêtre pour se faire nourrir (si elle se laisse flatter, elle a droit à un biscuit au chocolat), un petit tamia sympathique et même une couleuvre de 36 pouces qui venaient muer près d’elle, en acceptant sa protection en temps de vulnérabilité. Pour réussir, il y a trois éléments à réunir : leur parler (et même leur chanter : tous les animaux aiment la musique et le chant), ne jamais être brusque et, surtout, avoir beaucoup de temps à leur consacrer, pour prendre le moment lorsqu’il se présente.

Vous ne me croiriez pas si je vous mentionnais que l’animal qui la représente bien est un huard ou une outarde. Un jour, pendant qu’elle pêchait en plein centre du lac St-Amant, le premier voilier d’outardes de la saison est descendu vers elle se poser sur le lac. Elle n’a pas bougé avec sa canne à pêche. Les outardes ont entouré son bateau en nageant. Elles l’ont prise pour une des leurs. Elle n’avait qu’à avancer le bras et elle pouvait les toucher. Les outardes se grattaient l’une l’autre comme en famille. Cela a duré près d’une heure, après quoi la volée d’oiseaux a regagné le ciel, la laissant sans mots.

Je me risque à vous le dire quand même, mais si c’est possible de communier avec la nature pour vrai, Yolande Gaudet fait partie des rares êtres humains qui ont su en faire l’expérience. On peut dire sans se tromper que les animaux peuvent parfois offrir plus que les humains. Comment dire autrement que la Terre Mère peut remplacer une mère tout court. Que tout vit, tout meurt et tout renait et que, de cette croyance, Yolande partira dans quelques années faire fondre son énergie vitale dans l’énergie universelle. D’ici là, elle vous invite à vous planter les deux pieds nus sur la terre et à ressentir ce qui parcourera alors votre corps.

Ce fut une entrevue d’une rare intensité et, Dieu merci, j’avais le bagage de vie pour comprendre fondamentalement ce qu’elle me disait. La main sur le cœur, je savoure mes souvenirs du temps passé avec elle comme je bois un bon thé. Ah ! Justement, que m’annoncent les feuilles dans ma tasse?