
Solange Lavoie, 82 ans
Amos (anciennement St-Dominique-du-Rosaire)Et si c’était possible? Je ne rêve pas. Après un charmant détour de conversation pour parler de sa grand-mère qui avait le don d’arrêter le sang et qui fut sage-femme pour aider plus de 240 femmes d’ici et de l’Ontario à accoucher sans problème dans les années 30 et 40, Solange me parle de ses dons à elle de ressentir les entités. Oui, oui, les esprits. Après avoir hésité quelques secondes et regardé furtivement la table même si elle ne la voit qu’à moitié étant donné sa cécité partielle, elle s’est lancée dans ce sujet. C’est épineux et souvent plusieurs passent pour fous, dès qu’ils commencent à aligner quelques mots propres à la science-fiction. « Canaux ouverts. Vies antérieures. Prémonitions. » Toutefois, j’ai envie de savoir ce qu’elle sait et… ça se voit tout de suite. Par-dessus le marché, elle va plus loin en voyant dans mon attitude et mes questions mon absence de jugement. Je suis transparent, mais cette fois-ci, ça me sert plutôt bien.
Maintes fois, je me suis demandé ce qui se passait avec mes proches lorsqu’ils décèdent? Sont-ils occupés ailleurs? Est-ce vraiment possible de les appeler en temps de souffrance pour qu’ils veillent sur nous à chacun de nos pas? Est-ce possible de réellement rencontrer une « vieille âme »? Existe-t-il des gens qui restent prisonniers, en quelque sorte, du lieu qu’ils ont habité avant leur mort? Est-ce qu’il est possible de les aider à « passer de l’autre bord »? De quoi est fait cet « autre bord »? Ultimement, est-ce qu’il y a un Dieu qui gère tout cela? En me laissant aller à des questions diverses au gré des réponses assurées et douces qu’elle me livre comme on donne sa meilleure recette en souriant, je me sens détenteur d’une foule de secrets qui parlent d’une dimension de la vie qui m’échappait jusqu’à maintenant, de ce qui existe du côté de l’invisible. Il faut croire un tantinet à ce qui est immatériel pour goûter un tant soit peu au chocolat de ses paroles. J’entends déjà les ultras rationnels, carrés comme une colonne de chiffres, douter tout haut. Solange offre pourtant une cohérence parfaite dans ses explications.
Toute jeune, elle avait des prémonitions et elle ressentait les entités tourner autour d’elle. Les âmes des défunts voyaient qu’elle avait le don de les ressentir et de les voir et s’y collaient pour recevoir de l’aide. C’est à 30 ans, après une rencontre déterminante avec un homme connaissant en la matière, qu’elle s’est décidée à ne pas contrer ou contourner ses facultés divinatoires, mais bien à faire avec. La suite coulait de source. Elle a utilisé avec succès des formules permettant de faire passer des centaines d’âmes vers la lumière. Vers en haut. Si bien qu’elle le fait en toute subtilité quelques fois pendant que je lui parle, sans que je ne m’en rende compte. Cela aide tant de gens qui accourent vers elle qu’elle a lancé un CD contenant les formules que les gens doivent réciter pour faire passer vers la lumière des gens autour d’eux ou « nettoyer » des maisons aux prises avec des entités.
J’ai les yeux ronds. Je suis bien assis à sa table de cuisine. Dans le silence entre nos phrases, je savoure ce rare moment où j’accepte de baisser ma garde, pour croire en ce monde parallèle et en cette intermédiaire qu’elle représente.
Allez, Guillaume! Il te reste encore du temps pour lui poser le reste de tes questions, mais tu veux savoir davantage sur elle et ce qu’elle a appris par sa propre expérience. Aucun lavage de cerveau dans des livres ou par une secte quelconque. Tout cela par l’apprentissage autodidacte et quelques conversations au fil des années, mais surtout depuis qu’elle a 70 ans. Depuis qu’elle a tout son temps pour y penser et faire avancer ses réflexions. Elle a fait passer de vieilles âmes de près de 1000 ans vers la lumière! Par ses prémonitions, elle a évité la mort de trois de ses proches, à leur insu, sans toutefois interférer sur leur destinée véritable (si leur heure de mort était vraiment venue, elle ne se serait pas permise de demander aux anges protecteurs d’aider dans ce contexte). Elle est demeurée catholique tout en incorporant certains mots ou concepts d’ailleurs pour compléter l’univers des connaissances empiriques qu’elle cumule. Elle a appris à faire confiance à ses dons et à développer des manières de se protéger. Elle garde son énergie, elle a un point de vue très singulier sur la vieillesse et elle me démontre par une série de détails auxquels je suis à l’affût qu’elle est en paix avec sa vie, mais surtout avec la mort. Parmi toutes celles que je connais, c’est une des femmes les plus sereines face à son avenir. Il n’y a que du beau qui s’en vient pour elle. Elle en est convaincue. Elle en est convaincante.
Ma soif de connaître étant minimalement assouvie, j’ai maintenant soif de bonté. Entre les parois de mon corps résonnent en écho des mots qui poussent à l’action. À répandre de la bonté comme on lance des pétales de roses, à la volée sur les passants. Mais qu’est-ce qu’elle m’a fait ? Qu’est-ce qu’elle m’a dit précisément pour déclencher ce raz-de-marée qui me submerge? Cet élan fou qui porte aux nues mon sentiment d’utilité. Pour l’heure, plus aucune tâche futile de mon agenda n’a de prise sur moi. Ne restent que les actions porteuses d’espoirs et de lumière surlignées en jaune. Mais Guillaume, qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que tu as mangé ce matin pour penser ainsi? Ah oui, je crois que je commence à comprendre : quand on mène une vie guidée par la bonté, au terme de notre présence sur terre, on ne s’éteint pas. On brille plutôt de 1000 feux, consumé d’une énergie vive et plus puissante encore que tout le nucléaire du monde. À moi d’agir et de me commettre pour élargir la portée des bonnes actions des autres. Définitivement, Guillaume, tu fais le plus beau métier du monde!





