
Roger Paradis, 78 ans
Rouyn-Noranda (Évain et anciennement Rollet)« Mon père est entré, en étant chétif, dans le chantier d’Edgard Turpin à 12 ans tout juste. Edgard Turpin ne savait pas vraiment qui c’est qu’il venait d’engager, pis mon père ne se doutait pas de qui c’est qu’il l’avait engagé. Turpin, c’était un excellent foreman qui avait compris avant les autres que “quand t’as un bon bouilleux (cuisinier), le chantier marche ben.” Mon père, lui, y est devenu, au bout de quatre ans seulement, à force de se faire des muscles, pis de manger toutes ses assiettes, “le boulé du chantier” : le plus gros pis le plus fort avec des mains deux fois plus larges pis épaisses que les tiennes. D’ailleurs, à 16 ans, y est rentré dans un vieil hôtel à Timmins en Ontario avec quelques-uns de ses chums. Y a un gars de la place qui s’est mis en tête de le provoquer, pis de se battre avec. Tsé, le pauvre gars savait pas que, premièrement, il n’était pas de taille pis que, deuxièmement, son adversaire ne voulait rien savoir de se battre avec du monde. Il aimait mieux se venger sur du matériel. Ben, fâché de se faire pousser, mon père s’est levé pis il lui a dit : “pour te montrer que t’es mieux de pas te battre avec moi, tu vois la table de marbre de deux pouces d’épais qui est icitte? Ben d’un coup de poing, je la brise en deux. C’est-tu clair?” Ce qu’il a dit qu’il ferait, ben il l’a fait! L’autre gars y s’est pas obstiné pis y est parti. Pendant des dizaines d’années après, ça été écrit sur le comptoir sur une petite plaque : “marbre cassé par un coup de poing de Léo Paradis”. Tsé, tu ne sais jamais vraiment à qui que tu parles!
Pas longtemps après, mon père s’en va en face d’un commerce, pis un fournisseur avait besoin d’aide pour déplacer un tabarouette de gros baril de lard salé de 450 livres sur une plateforme. Sur les 5 hommes qui assistaient à la scène, les plus forts comme mon père se sont retroussés les manches pour essayer ça et en profiter pour faire une démonstration de force. Rendu au tour de mon père, il a essayé de lever le baril, tu comprends ben. Il a passé ben proche de réussir, mais il l’a échappé. C’était pas possible. Y se sont tous regardés, embêtés. Les 4 hommes forts n’avaient pas réussi, pis le livreur avait encore son problème sur les bras. Ben, c’est à ce moment-là que le 5e homme s’est avancé. Oui, le jeune “showboy” (aide-cuisinier et laveur de vaisselle) du chantier. C’était une grande échalote qui avait les yeux qui louchaient par en-dedans. Il ne parlait pas. Tout le monde le négligeait quand ça parlait, pis que ça forçait. Ben y s’est avancé, il a pris le baril de 450 livres par en dessous, il l’a levé du premier coup pis il l’a mis sur la plateforme.
Le monde n’en revenait pas! Après ça, y parait qu’à chaque fois que ce gars-là voulait s’allumer une cigarette dans son chantier, il y avait quelqu’un qui courait pour lui pour proposer leur lighter. Pis c’est en plus de toutes les fois où on s’est mis à lui demander son avis, quand ça parlait après le souper. Non.. sérieux… tu ne sais jamais vraiment à qui tu parles, hein?
Pis ça, c’est sans te parler d’un autre gars qu’Edgard Turpin avait engagé. Un gars qui avait juste un bras. Ben avec rien qu’un bras, il arrivait à bucher quand même, à trainer ses billots et, meilleur encore, quand ses deux gros chevaux de trait sont partis en peur avec un chargement, il a réussi à les rassoir dans la neige tellement qu’il tirait raide sur ses cordeaux. Ben quin! Je t’ai pas parlé non plus de Donat Martineau, le curé du Témiscamingue qui s’intéressait ben gros à l’histoire. Lui, quand il était dans une réunion, il écoutait les yeux fermés, la tête penchée par en avant. Il donnait l’impression de dormir, mais après les grosses discussions enflammées où le monde finissait par dire “on n’a pas de solution à notre problème finalement”, là il s’ouvrait les yeux, il demandait la parole, pis il disait : “Oui il y a en a une solution. Tantôt untel en a proposé une bonne qui fonctionne.” Parce-qu’au fond, le père Martineau savait bien qu’on filtre ce qu’on veut bien entendre. Lui, il gardait le focus sur le problème à régler et rien d’autre. Par contre, pas facile de savoir en début de réunion que c’est le gars qui dort qui va nous sortir la solution. Tu ne sais jamais à qui que tu parles!
Regarde ma fille Jacinthe. Elle est médecin et elle s’est tapée un 100% de moyenne au cégep. En plus et surtout, elle a un super “sniffeux” ! Un nez bionique qui sent tout et qui détecte même des problèmes de santé. Alors qu’un médecin responsable de son stage était prêt à la renvoyer, vu qu’elle insistait sur une chirurgie à faire pour éviter la mort d’un patient, le chirurgien a ouvert et, bouche bée, il a constaté que l’intestin était perforé. Elle disait vrai sans aucun signe apparent en surface. Son nez, simplement. Bien souvent, tu ne sais pas à qui tu parles, hein?
Pis si tu veux savoir quelque chose à propos de moi: quand j’ai eu ma terre dans le rang 9-10 de Rollet pendant 10 ans, nos enfants étaient jeunes, pis une bonne fois, les nuages s’en venaient, pis y avait pas moyen de s’en échapper. Moi, j’avais pas fini de faucher, pis j’en avait vraiment besoin pour boucler ma fin de mois. J’ai vu les premières gouttes tomber sur mon hood de tracteur pis je me suis mis à crier que “j’avais donc besoin de finir avant que ça tombe pour mes enfants, moi pis ma femme.” Ben, j’ai eu le temps de tout finir pis en fin de soirée, je suis allé voir ailleurs, il avait plu en masse partout autour, sauf à l’endroit exact de mes lots. Encore là… tu ne sais jamais à qui que tu parles!!!
Mais mon meilleur coup, ça reste la fois en 1974 où j’étais ben tanné de partager la ligne téléphonique avec 12 autres personnes dans le rang pis de payer trop cher. C’était problématique à bien des égards y compris pour la sécurité pis pour les frais interurbains, parce que d’appeler deux villages plus loin occasionnait des frais de fou en interurbains en plus de la ligne de base. Je me suis plain au CRTC mais le big boss de Télébec en région est venu m’offrir à boire chez moi en me proposant une ligne simple pour que je retire ma plainte. J’ai refusé pis j’ai commandé une grande rencontre publique au village. La salle était pleine à craquer, en plus du monde dehors qui écoutaient par les fenêtres. Le gars du CRTC a obligé sur le champ la compagnie Télébec à avoir un gros maximum de 4 familles sur une ligne (la limite légale) et d’agrandir la limite sans interurbains pour couvrir tous les environs de Rouyn-Noranda et les villages avoisinants. On a gagné sur toute la ligne (c’est le cas de le dire), et ça a aidé toute la région, parce que si c’est vrai que tu ne sais jamais à qui tu parles… ben quand c’est vraiment important, faut que tu t’organises pour le savoir! »





