Roger Larivière, 70 ans

Rouyn-Noranda

« – C’est le fun de jaser de même après-midi comme on fait là. Ça te tentes-tu que j’ouvre une bouteille ou si tu voudrais une petite bière? Je ne bois jamais d’alcool tout seul. J’en bois seulement avec d’autres quand l’occasion est bonne.

– Non, c’est beau, je ne bois pas d’alcool, mais merci pour un verre d’eau. C’est gentil.

– En tout cas, si ça te tente plus tard, tu me le dis. Tu vois Guillaume, moi j’ai appris toute sorte de choses dans ma vie, avec mon excellente mémoire pis ma curiosité. Dans ma jeunesse, quand je commençais à être tanné de l’école et que je suis tombé sur un cours de botanique, c’est venu m’intéresser énormément et je suis plus tard devenu biologiste. Là, toutes les aventures dans le bois ou en nature que j’avais connues étant plus jeune me sont revenues encore plus fort: mon père qui, à 6 ans, me donne de la gomme d’épinette à ne jamais cesser de mâcher pour éviter qu’elle durcisse;  la petite chasse;  mon intérêt pour les vaches pouvant me faire parler de la panse comme t’as pas idée;  la cueillette des bleuets pour gagner des sous;  les sorties incroyables dans le bois avec le club 4H. C’est drôle parce que tout ce qui était au sol dans des scènes en nature dans la télé de mon jeune temps, c’était vert. On mettait un « stencil » trois couleurs sur l’écran de télé noir et blanc pour que le tiers du haut soit un ciel bleu, les visages au centre, roses, et que le sol soit vert. Finalement, je me suis rendu compte que tout ce qui pousse au sol, c’est pas mal plus complexe que de tout confondre en vert. Quelques années plus tard, la biologie marine ne me semblait pas être bien éclairante pour ensuite revenir en Abitibi, mais il y a bizzarrement des choses qui étaient tout à fait transposables à la région. J’ai été professeur au Cégep, et j’ai même pris un an pour aller faire une Maîtrise en évaluation et techniques éducatives, pour mieux fonctionner dans la nouvelle approche d’enseignement par compétence. Je me suis intéressé aussi aux chevaux et je t’ai parlé tantôt de ma belle jument. Il arrive aussi des moments où on est chanceux et où il faut en profiter: j’ai trouvé une talle de fleurs impossibles à trouver, ici dans l’enclave argileuse du nord, parce qu’elle ne se tient que dans les érablières au sud du Québec.

– Ah bien, la vie vous a fait une fleur?

– Oui, en plein ça. C’est tellement intéressant. C’est sans dire que, quand j’allais pour faire mon livre avec les Abitibiwini de Pikogan, le but était de faire ressortir les plantes médicinales traditionnelles, pour les faire mieux connaître.

Quand je suis arrivé là, les aînés m’ont parlé de tout, sauf de ça. Ils n’en connaissaient plus beaucoup. J’ai fait un tour dans le bois avec eux, et j’ai vu leur regard s’allumer, ils n’arrêtaient plus de parler, de rire, de travailler. Je me suis alors intéressé à l’histoire et à d’autres types de savoir. Le livre a changé de style, mais c’est bien correct comme ça.

– Tu as accepté facilement de faire virer plusieurs projets de bord pour qu’ils t’amènent ailleurs?

– Ah oui, pis pour un gars curieux comme moi, c’est toujours intéressant. T’es sûr que tu ne veux pas un peu de boisson? Moi, je bois juste si je ne suis pas tout seul.

– Non merci, il fait chaud et mon verre d’eau me va très bien.

– Tsé, j’ai fait des études en agronomie, j’étais supposé devenir curé, bon enfant de chœur que j’étais, premier de classe et expert du Petit Catéchisme. Dans la classe, on m’a nommé Pape… parce-que que j’étais infaillible! Je suis ensuite devenu athée par conviction dans les années 70 et là, je suis ébranlé par la visite que j’ai fait récemment chez une médium: ça a remis en perspective plusieurs choses que je pensais.

– Est-ce qu’il y a quelque chose dont tu es particulièrement fier d’avoir réalisé Roger, dans ta vie?

– Ah! C’est une grosse question. Vite comme ça, je t’en ai dit quelques-unes. Je pourrais aussi ajouter l’association La Cuivrée que j’ai contribué à fonder; les carrières de plusieurs jeunes à qui j’ai enseigné et fait changer de plan, en leur disant de faire ce qu’ils voulaient vraiment dans la vie. Mais, quand je regarde ça, Guillaume, je suis chanceux de vieillir. Je suis encore très actif et en vieillissant, on devient des adultes plus universels. À force de se poser des questions pis de chercher, on fait des liens qui rendent perméables les domaines de connaissances. Il y a comme des petits trous qui se créent entre les cloisons et on comprend mieux l’univers. On se comprend mieux dans l’univers. La place qu’on a là-dedans.

– Wow! C’est très bien dit, ça Roger. Je n’ai rien à ajouter.

– Ouin, mais toi t’es un peu jeune, attend encore 10 ans et tu vas peut-être comprendre encore plus clairement ce que je viens de dire. Donne-toi du temps, ah ah ah ! T’es sûr que tu ne veux pas un petit verre à boire? Moi je ne bois pas tout seul.

-Non Roger, mais à l’instant même, même si je sais que c’est plate pour toi que je ne boive pas d’alcool, je bois tes paroles. C’est enivrant et je commence même à être un peu pompette. À preuve, regarde mon sourire qui ne quitte plus mes lèvres. »