
Rodolphe Cloutier, 94 ans
Rouyn-NorandaLorsque Rodolphe Cloutier était jeune, il était responsable de la captation du gaz dans les proverbiales cheminées de la Mine Noranda, en 1977. Le quartier avoisinant était très pollué et une volonté de faire mieux se dessinait, pour qu’on respire moins de produits toxiques et ultimement qu’on augmente sensiblement l’espérance de vie des gens de l’endroit. Rodolphe a alors à ses côtés deux jeunes ingénieurs en formation qui ont à faire des plans. Rodolphe était contremaître. Il savait que quand le convertisseur partait, c’est à ce moment que le gaz montait. Ça montait dans un canal vers les cheminées. Il y avait un nouveau système hydraulique faisant en sorte que quand le convertisseur partait, une porte se fermait automatiquement et on évitait que ça aille dehors. Quand la cheminée fonctionnait pour dire à quel point ça tirait, la mesure était un chapeau jaune en plastique dur qu’on mettait à la base. Quand la pression montait, le casque levait dans les airs dans la cheminée, à une bonne hauteur. Quand le chapeau, à l’inverse, était à l’envers et redescendait, ça voulait dire l’inverse. Très scientifique, n’est-ce pas?
« Une bonne journée, il est arrivé un incident important. On avait fait un shutdown de 5 mois pour tout nettoyer. Je suis allé voir mon ingénieur en chef sur la rumeur qu’à la fonderie de Sudbury il y avait un camion à 4,000 livres de pression au boyau qui permettait de faire un bon nettoyage de la poussière pour ultimement la faire déposer au sol et mettre ça propre. Let’s go, on le fait venir. Le lendemain, le camion en question était là à l’usine. On avait toutefois pas pensé que la base de la troisième cheminée fonctionnait. Elle tirait du gaz pis de la chaleur. Nous autres, on avait de l’eau froide qui sortait du boyau pis elle, la cheminée, elle tirait notre brume. Ça se mélangeait au gaz qui était là. L’eau mélangée à ça, chimiquement parlant, ça faisait de l’acide pur. C’est parti dans l’air au-dessus de la ville, pis c’est redescendu pour faire des picots sur la peinture de plus de 3,000 voitures en ville! C’est en partant de mon travail vers minuit que je me suis rendu compte en regardant mon char, un beau Grand marquis, qu’il était tout sale. J’ai lavé mon char devant les voisins un peu étonnés, à minuit. La Noranda a été obligée de tout payer pour tout le monde en faisant refaire la peinture sur les chars par entente avec des garagistes. Ensuite, il restait de l’acide à pomper et pour dire à quel point l’acide était fort, on a fait venir des pompes de chez Blais qui étaient censées être à l’épreuve de l’acide et, en une heure seulement, toutes leurs pompes étaient inopérantes, puisqu’attaquées trop sévèrement par l’acide. Quand on pense qu’il fallait travailler là-dedans, c’est effrayant. Toujours est-il qu’ensuite, on a vite fait travailler des ouvriers pour construire un panneau afin de boucher le trou en base de la cheminée numéro 3 pour qu’elle arrête de tirer ce qu’on faisait. »
Et dire que, lors de cette journée, probablement qu’un certain Richard Desjardins, chanteur dans un groupe local jadis, écrivait ce qui allait devenir un de ses monologues les plus populaires en prenant appui sur les rush de la Mine Noranda : « Il tombe de ces cheminées depuis 1925 une tonne de soufre à la minute (SO2) qui se marie à l’eau de l’atmosphère (H2O) et l’oxygène (O3) pour produire les pluies acides (H2SO4). Mais là, ils ont décidé de faire un plan d’acide… ben des pushers qui se rencontrent en même temps… pour construire une usine d’acide sulfurique pour récupérer le soufre. Donc au lieu de nous tuer 20 fois, ils vont nous tuer 10 fois. […] À Rouyn-Noranda cependant, on a une preuve des pluies acides. Ce sont les petits picots sur la peinture des chars. Des fois, la nuit, l’usine dégage un rush (ça fait longtemps qu’on trippe ici), pis ça fait des petits picots sur la peinture des chars. Y a une entente entre le garage Vanasse pis la compagnie. Si t’as des petits picots sur ta peinture, ils vont swingner ça sur le bill de la compagnie. Pas de problème. Nous autres, remarquez bien que ça ne nous dérange pas trop trop, parce qu’on n’est pas peinturé. Il tombe aussi dans l’atmosphère de la ville 5 tonnes de cadmium en petites particules métalliques, 4 tonnes d’arsenic et 3 tonnes de plomb qui rentrent dans notre système sanguin et c’est pour cette raison que je dis que j’ai un style heavy metal! ».
Moi qui ai écouté ce monologue des dizaines de fois, jamais je n’aurais pensé un jour avoir devant moi celui qui a indirectement rendu heavy metal Richard Desjardins et a contribué à la montée de la musique métal chez les jeunes dans les années suivantes.





