Rita Beauchemin Audet, 95 ans

Villemontel (anciennement La Sarre et Varennes)

En l’an 2000, Rita et son mari Laval Audet sont en voyage dans l’Ouest canadien avec leur voiture. Comme ils sont catholiques pratiquants, le dimanche venu, ils décident d’aller à la messe au Manitoba, dans une paroisse francophone du coin. En sortant de la messe, ils décident de parler un peu avec les gens de l’endroit. Plusieurs sont curieux de voir ces deux nouveaux visages et s’approchent. Le franco-manitobain qui tient la conversation la plus longue avec eux apprend que le couple est québécois. Il dit alors tout bonnement : « En tout cas, moi, s’il y a bien une personne du Québec que j’aimerais revoir une fois dans ma vie, il y en a qu’une seule, et c’est Rita Beauchemin. » Après quelques secondes silencieuses de secousses sismiques intérieures, Rita le fixe dans les yeux et lui dit : « Mais c’est moi Rita Beauchemin! » L’homme change de regard, plisse les yeux et ausculte les traits de son visage avant d’ouvrir les bras et de les refermer autour de Rita dans une longue étreinte, serrée à souhait. L’occupation des heures suivantes est écrite dans le ciel… une grande discussion riche de sens et de nostalgie.

De 1945 à 1952, rares étaient les femmes qui pouvaient discourir comme Rita Beauchemin à travers le Québec et le Canada francophone. La J.A.C. (Jeunesse agricole catholique) était un mouvement fort pour donner aux jeunes, en 9 jours, des bases qui leur manquaient pour se débrouiller dans leur vie courante. Trop souvent, on a dit de cette époque qu’elle était une Grande Noirceur où le commun des mortels était réduit à l’ignorance, pour mieux obéir. La J.A.C. tentait de redresser une part de ce problème, mais avec de bien modestes moyens. Or, avec une femme de tête, de discours, de pédagogie, de politique et d’organisation comme Rita et trois autres femmes, on peut parvenir à des résultats épatants. À partir de 1945, elle organisera des cours de jour pour les intéressés et chaque participant serait payé 9$ par jour pour une durée totale de 9 jours. Des cours d’épargne, de fonctionnement de coopérative, des cours de fréquentation (l’ancêtre des cours de formation personnelle et sociale), des cours d’intelligence, de volonté et de jugement (autrement dit, des cours de philosophie appliquée) et bien d’autres sont donnés partout à travers le Québec et le Canada francophone. Ces femmes étaient soutenues par les Clercs St-Viateur de leur maison mère à Montréal, où Rita est nourrie et logée, mais presque sans salaire. Bien convaincue de la cause et grisée par ce rythme trépidant qui l’amène souvent à la table des décideurs, elle refuse la vie de religieuse, tout comme celle de femme de maison.

Elle parcourt des centaines de milliers de kilomètres pour trouver des personnes-ressources locales qui donneront une partie des cours; elle dispense elle-même les autres cours avec sa touche féministe d’avant-garde et son aplomb, et joue du coude auprès des autorités locales et régionales pour ainsi faire mousser les inscriptions et créer des ouvertures. La devise de la J.A.C. : « Voir – Juger- Agir » ! Dans son temps, les études lui étaient refusées en tant que femme, mais elle s’est organisée pour apprendre à l’école de la vie à vitesse grand V et ainsi contourner en quelque sorte ce destin par des chemins de travers. Très terre-à-terre et bien appuyée, les conseils qu’elle donne trouvent un écho et résonnent encore dans la tête de milliers de personnes qui ont connu les années 45 à 52. Dans les coulisses du pouvoir à Montréal comme ailleurs, on se demandait bien vers quel genre d’engagement Rita Beauchemin allait se diriger après la J.A.C. La réponse a scié les jambes de plusieurs : un jeune homme de La Sarre, en Abitibi, a réussi à avoir sa main pour l’ammener vivre dans un rang, en sa qualité de propriétaire d’une laiterie. Laval Audet avait touché son cœur et les années suivantes ont été consacrées à élever leurs enfants et s’impliquer dans quelques associations locales. Les années sont passées et la poussière est tombée sur la mémoire collective des réalisations de la J.A.C et des femmes de tête comme elle qui l’animait. Mais, manifestement, lorsqu’on contribue à faire changer les mentalités et qu’on le fait bien, il arrive que, même après 50 ans, certains s’en souviennent. L’étreinte des retrouvailles est alors d’une chaleur sans pareille.