René Lévesque et Adèle Langlois, 77 ans
La Sarre (anciennement Roquemaure et La Prairie)Il était une fois, l’histoire des trois petits cochons, version d’Abitibi-Ouest… mais commençons par le commencement. Les parents des trois petits cochons s’appelaient René et Adèle. René, natif d’un village coopératif (Roquemaure) était un bon vivant avec une forte pilosité en plus qu’il était plus corpulent que la moyenne à cause de son cœur qui prenait trop de place dans son corps. Justement, à cause de cela, il l’entendait bien battre et il se demandait bien pourquoi, contrairement aux autres, il ne vivait lui qu’avec 42 battements à la minute au lieu de 75. Il eut bien essayé de devenir médecin pour le savoir, mais il est devenu finalement infirmier avant d’être directeur des soins à l’hôpital de La Sarre, sans toutefois comprendre pourquoi il lui manquait toujours plus de 30 battements de cœur à la minute.
Pour sa part, Adèle était une des rares à pouvoir faire battre le cœur de René très vite (en fait, à un rythme normal). Elle, qui était une des plus jeunes d’une famille nombreuse de La Prairie au sud de Montréal, aimait la vie, les pommes du verger familial, les odeurs de rôti de viande et faire des gâteaux dans la cour arrière avec de l’avoine, du sable et des œufs à l’insu de sa mère. La petite Adèle avait foi en l’avenir et en Dieu. Avant de rencontrer René, elle avait eu la véritable révélation de sa vocation sur terre, lorsqu’elle est allée porter de la nourriture à une famille très très pauvre de la rive sud. En ressortant transformée par les conditions de vie difficile qu’elle a vu là, elle décida de se lancer dans les soins médicaux pour aider les pauvres gens. Elle fut formée en Abitibi tout comme René. Formant, avec René qui est devenu entre-temps son mari, une équipe de soignants efficaces et complices loin du commérage, ils comprirent rapidement qu’ensemble la vie serait plus belle encore et que leurs projets communs seraient d’une force inouïe. Disons finalement d’elle qu’elle n’est pas grande physiquement, mais très grande intérieurement.
Un bon jour qu’ils eurent lancé le bouquet pour démarrer leur vie commune et vidé leurs poches dans leur voyage de noces, Adèle s’est approchée de René. En ce soir étoilé et en chatouillant sa joue, elle lui a demandé s’il acceptait de faire confiance à Dieu pour leur donner quelques enfants cochons? Il lui a répondu, muni d’un sourire fendu jusqu’aux oreilles « bien sûr » avant de se jeter sur elle et puis de lui… enfin, je passe pour les détails… Mais je tiens à vous dire que c’est tout de même une histoire cochonne vu qu’il s’agit ici de l’histoire des trois petits cochons!
Comme la vie fait bien les choses, ils ont eu trois petits bébé cochons : Martin le timide responsable, Julie la chanteuse travailleuse sociale et Guy le bodybuildé au grand cœur. Dès qu’ils sont venus au monde, René et Adèle ont occupé beaucoup de leur temps à leur montrer ce qui est le plus important dans la vie : avoir une bonne base solide pour être capable de se débrouiller en quittant le foyer familial plus tard. C’est comme construire l’ossature d’une maison. Dans ce cas-ci, il y a un mur fait en espoir et en confiance, un autre fait en débrouillardise (connaissances techniques de première main), un autre fait en honnêteté, et le mur porteur qui est fait solidement en entraide. Le toit, lui, est fait en amour et en affection. Bien sûr, René était toujours à l’ouvrage sur le travail physique de construction du frame de la maison de chacun, assisté de sa chère Adèle qu’il regardait avec les yeux dans la graisse de bines. De son côté, l’angélique Adèle occupait toute la force de son intériorité à… l’intérieur de la maison en construction. Il fallait bien l’écoute, qui prenait la forme d’une table et des chaises, ainsi que le réconfort prenant forme dès qu’elle cuisinait et embaumait les pièces par les 101 recettes délicieuses aux 1000 petits trucs pour les réussir. Ce n’est pas mêlant, la nourriture était si bonne et variée que les cochons de la maison étaient en train d’inventer l’expression « manger comme des cochons ». Il n’appartenait ensuite qu’aux enfants de terminer l’intérieur et l’extérieur de leur maison comme ils l’entendaient selon leur personnalité. Les trois petits cochons étaient si bien que leurs apprentissages de la construction d’une belle maison intérieure (qu’étaient leurs valeurs) semblaient se faire tous seuls.
Lorsqu’est venu de temps pour Martin, l’ainé des enfants, de partir à la rencontre du reste du monde par lui-même, il a embrassé sa mère et au moment de serrer la grosse main forte de son père, il a senti une petite décharge électrique. Minuscule, mais bien là. Bien transmise par ses mains moites et les larmes nombreuses. Il savait qu’il fallait maintenant qu’il vogue seul, mais accompagné de sa famille en cas de besoin. Les temps changeaient pour lui. Il prenait de l’autonomie. Le timide responsable qu’il était a installé sa maison dans le bois entre son travail à Rouyn-Noranda et sa famille à La Sarre. Grandes baies vitrées pour voir clair, grandes pièces pour une grande famille.
Le papa et la maman cochon ont eu ensuite la tâche de dire aurevoir à leur espiègle travailleuse sociale Julie. Le même petit choc du départ, mais pas trop loin (La Sarre). Pour une fille de party et chanteuse par plaisir (en tout cas son plaisir à elle), elle s’est installé dans une maison avec un bar, en bas.
Pour Guy qui est parti prématurément se débaucher et rehausser ses notes à Val-d’Or, il savait qu’il avait un bon frame de maison sur lequel s’appuyer et sa blonde qui est venu le sauver avait vu cela… en plus de voir son physique impressionnant. Il a donc misé par la suite sur une maison non loin de ses parents, maison moderne dont la circulation d’air se fait par la musique (qui déplace de l’air). Il reçut la même accolade et poignée de main marquante de ses parents, en pleurs, en ce jour d’automne.
Dans sa tanière de misère, le grand méchant loup grouillait d’impatience. Il cherchait à lâcher lousses ses pulsions de destruction, semer la bisbille et faire entrer le plus de gens possible dans la colère, le ressentiment, les médisances afin de les prendre dans leur solitude, en faiblesse, pour les manger tout cru. Qu’importe le reste, le loup a faim. Il est venu cogner chez Martin et sa famille d’abord. Martin ne voulait pas le laisser entrer. Le loup rouge de colère a soufflé si fort, que le souffle a passé à travers les craques et a rendu fragile leur petite dernière Coralie. L’ossature de la maison de Martin leur a donné (en entrant en eux) du temps, de l’affection et de l’espoir. René et Adèle ont su donner les rappels qu’il fallait pour tenir bon. Est venu ensuite le grand méchant loup revenant à la charge avec le souffle de la séparation. Encore Martin a trouvé ce qu’il faut dans sa maison intérieure pour passer à travers et en allant notamment se réfugier chez Adèle et René.
Le toit d’amour était partiellement décroché, mais il a été possible de le réparer. N’en pouvant plus de rôder en vain à D’Alembert, le loup toussotant, est allé directement à La Sarre pour voir Julie avec le même souffle de séparation. Oh, il faut croire très fort en la vie pour affronter ces vents-là et elle en était capable. La maison tenait bon encore une fois. Le loup était sans mot! C’est lui qui dirige cette part de l’histoire avec des maisons détruites d’habitude, en miettes et c’est son plus grand plaisir de voir les gens tout nus dans la rue, mais là… impossible! Les parents cochons ont vu repartir leur fille de meilleure mine que quand elle est arrivée: « Mais c’est incroyable cette coquille de maison-là que vous nous avez donné! » de dire Julie. « Je vais aller voir comment se débrouille mon frère Guy. » Finalement, le loup s’est dit qu’il irait, pour son prix de consolation, chez Guy. Pour tout dire, son souffle a eu beau ébranler un peu Guy, sa maison moderne est restée presqu’intacte puisqu’il était sorti déjà renforcée suite aux vents mauvais soufflés jadis par le cousin du loup, le coyotte, à Val-d’Or. Bon, je dois aussi avouer que la musique que Guy jouait faisait concurrence au souffle du loup. C’est même le loup qui fut soufflé par les décibels d’Heavy Metal.
Quand on apprit le départ du loup atterré des environs de l’Abitibi-Ouest, la queue entre les jambes et le caquet bas, tous se sont réunis chez Martin pour chanter en faisant des stepettes sur le tapis moelleux de la cuisine. On riait, on dansait et on s’amusait avec les deux nouveaux conjoints (Gerry pour Julie et Eve pour Martin) en saluant le retour des jours heureux.
À la vue du travail qu’ils étaient capables d’accomplir pour donner une bonne charpente de maison solide qui résiste aux vents des méchants loups, Adèle, en plus de caresser le dos de son homme, a caressé le rêve d’aider d’autres enfants qu’elle voit passer avec de pauvres murs tout croches et un toit qui menace de s’effondrer. « Si on est capable de donner un bon encadrement, on est aussi capable de redresser. Ils en ont besoin, et nous, il faut se servir de ce qu’on sait » de dire Adèle. Sur ces paroles, René a eu un flash. Une révélation. Il a senti son cœur faire trois tours. Il a tout compris : un deal le reliait à Dieu concernant les battements anormaux de son cœur. S’il parvenait à vivre avec seulement 42 battements à la minute au lieu de 75, c’est qu’il avait en banque 33 battements de côté dont il pouvait se servir afin d’en donner aux personnes de son choix. Une sorte de support supplémentaire pour affronter la vie. Un battement de plus, c’est rare. C’est précieux. Ce don profond qui s’exprimait dans le petit choc électrique d’une poignée de main finale, il a choisi de le donner toujours après discussion avec sa bien-aimée. Devenant ainsi famille d’accueil en entente commune, ils ont vu passer plus de 115 enfants avec qui ils ont fait pareil et qui sont presque toujours repartis de chez eux avec de meilleurs plans de maison que quand ils sont entrés. C’est sans compter l’engagement pour des centaines d’enfants scouts. Non seulement ils ont donné des bases solides à leurs propres enfants, mais par l’adoption et l’accueil, ils ont réalisé le travail de titan (un travail de tous les instants) de faire en sorte que quand on regarde l’Abitibi à vol d’oiseau, on y voit quelques centaines de maisons droites et fières, rapprochés les unes des autres pour faire face, avec aplomb, aux vents de la tourmente. Des maisons inarrachables, peuplées de gens solides dans leur tête. Des maisons se tenant ensemble et tellement ancrées qu’elles ont même des racines interconnectées pour mieux se tenir, pour mieux échanger. Adèle et René laissent en héritage ni plus ni moins qu’une collectivité plus confiante en l’avenir. Car, qu’on se le tienne pour dit : le loup n’aura jamais le dernier mot sur les gens qui sont passés par les Lévesque-Langlois.





