
René Germain et Christine Germain, 69 ans
Ville-Marie (anciennement Nédélec)Depuis que René est tout petit, il aime la quiétude. Le silence tranquille qu’apporte la nature est sans pareil pour lui. C’est pourquoi il s’est vite développé une passion pour la pêche. Une passion dévorante. Son meilleur moment à vie est d’ailleurs teinté de la douce brise qui caressait sa nuque ainsi que celle de sa mère qui lui a offert un rare moment d’évasion à la pêche, loin de ses 6 frères. Un duo seul au monde en parfaite harmonie avec la candeur d’un regard chaud sur l’eau calme de la rivière à Nédélec. Une fois devenu grand et en première année d’enseignement au secondaire à Notre-Dame-du-Nord, au moindre temps doux, une brise l’emporte encore et toujours au point de bâcler son dîner pour mieux fuir au plus vent.
Ce midi-là, il file vers l’autre côté du barrage de Rapide-des-Îles avec sa ligne à pêche, se sachant détenteur d’une belle période libre en début d’après-midi. Il s’avance fin seul sur un chapelet de roche qui le conduit au centre de la rivière presque asséchée. Il englue son mené de sa salive pour de meilleures prises, lance sa ligne à l’eau et décolle en rêve dans ses anciennes aventures de pêches pendant qu’il ramène la ligne machinalement. Tout est beau jusqu’à ce qu’il se rende compte que, subtilement, l’eau monte dangereusement. Puis, sans aucune subtilité, il voit bientôt passer des vieux billots de drave à côté de lui dans un torrent inquiétant qui voit son espace vital sur la roche se rétrécir, comme une peau de chagrin. Le barrage plus loin était en train d’ouvrir ses vannes et il semblait inévitable que René allait se faire emporter. Question de quelques dizaines de minutes. Aucune possibilité de plonger vers la rive. Si, toutefois, il fallait le faire, en désespoir de cause, il pourrait attacher sa chemise en beignet autour de sa tête pour éviter des chocs trop brutaux, avec les billots flottants. Soudainement, il voit sur la rampe en haut, son ami qui le cherchait comme tout le monde de l’école d’ailleurs et qui était plié d’un rire indécrottable. René a fini par lui faire signe que, mis à part le rire, il y avait un sauvetage à faire pour éviter la mort. Une fois ressaisi, son ami est allé voir les contrôleurs du barrage pour leur demander de fermer les vannes. Durant le temps de cette course, sur son pic rocheux, René n’avait qu’un pied sur du solide et, avec sa canne à pêche qu’il lança à l’eau, le courant constant lui permit de tenir le ballant avec une stabilité de funambule. Les contrôleurs obtempèrent et l’eau mit trois heures à se retirer complètement, trois heures pendant lesquelles les étudiants adolescents font suer un remplaçant demandé « sur le fly », pendant que René se fait sermonner par les policiers demandés en renfort. Heureusement, René a eu la vie sauve, mais il l’a échappé belle.
Première morale de cette histoire : la témérité s’accorde souvent mal avec la quiétude.
Deuxièmement : quand t’es dans le pétrin, même si t’as presque rien, sers-toi de ce que tu as entre les mains.
Troisièmement : il arrive des occasions où se considérer chanceux équivaut à souhaiter n’avoir aucun de poisson au bout de la ligne (imaginez si, en funambule, ça avait mordu!)
Plusieurs années passèrent avant que René ne rencontre sa femme Christine et qu’il développe une fascination nouvelle pour les ciels étoilés. Encore fin-seul en contemplatif discret dans la quiétude de la nature, il est parti dans ses pensées plus d’une fois à la vue de l’Amas double de Percé, de l’Amas de la ruche ou de la superbe nébuleuse d’Orion. Au lieu de le chatouiller tendrement, le vent est devenu ainsi un frein puisqu’il fait danser les étoiles en troublant la lumière. À taquiner le ciel à grand renfort de télescope pour saisir les 3 ou 4 bonnes nuits par année où les cieux sont d’une perfection divine à observer, vous me direz qu’il ne risquait plus d’alerter l’entourage ? Eh bien ces belles nuits sont presque toujours en période froide, durant lesquelles Christine doit se lever maintes fois pour voir s’il respire encore dans son sac de couchage, tandis que lui finit par dormir à poings fermés en rêvassant à la plus grosse prise de pêche qu’il vient de faire : la constellation du poisson.





