René Filiatreault et Jeannine Jetté, 90 ans

La Sarre

Certains commerces sont de véritables institutions. Être une institution, ça ne se demande pas… ça se mérite. Et le mérite se gagne au fil des ans. Il reste bien souvent un attachement long terme pour ces endroits chargés de souvenirs qui ont gagné leurs adeptes, parfois sur plusieurs générations. Pour n’importe qui de plus de 30 ans à La Sarre, prononcer « Chez Filiatrault Fruits & Légumes » lance la discussion d’emblée. Or, lorsqu’on cherche l’histoire d’une véritable institution, c’est là qu’on comprend que bien des choses passent par la parole du fondateur. La réputation fait le reste.

D’abord, quand on remonte les époques sur les routes terreuses de nos mémoires, on doit y transporter les marchandises du sud au nord pour approvisionner la population de choses qui ne poussent pas ici: c’est une nécessité première. René Filiatrault, du village bilingue de Shawbridge, et plus tard avec sa femme, s’est lancé d’abord dans les pommes. Il faut croire qu’en revenant de Rougemont, il lui a chanté la pomme souvent, et à raison. Il avait de quoi s’inspirer: Cortland, Melba, St-Laurent, Duchesse, McIntosh, entre autres. Il était acheteur, transporteur et vendeur itinérant, il passait de maison en maison, un peu partout en Abitibi. Il a connu bien des fonds de rang, et comme les affaires allaient bien, après 8 ans, il se mit à acheter, transporter et vendre des prunes, des carottes, du chou et des navets. C’était à l’époque où en concurrence, il y avait des vendeurs itinérants de pain, de lait, de viande, de poisson et de fruits, en plus du linge et de la vaisselle, faisant en sorte que les mères au foyer retenues par leur trâlée d’enfants pouvaient voir venir un centre commercial en pièces détachées, cognant à leur porte au gré des jours qui montraient le bout de leur nez. René passait alors dans les environs d’Amos, de La Morandière, de La Sarre, de Senneterre, de Val-d’Or et j’en passe. La tournée était presque impossible à soutenir, mais les contacts étaient faits.

Ensuite, comme les affaires allaient bien, il a décidé de s’installer dans l’immeuble Gourd à Amos, où il fut en quelque sorte grossiste. Il a vu des vendeurs itinérants lui acheter des marchandises pour les revendre à leur prix dans les maisons, en plus des épiciers de plus en plus importants dans les villes, acheter ses produits. Il fournissait Caouette, Houde, Tétreault, même Marseille à Malartic et Ben Deshaies d’Amos avec ses fruits en entrepôt.

Il a décidé peu de temps après, soit dans les années 60, de s’installer à La Sarre, où il aimait bien la mentalité des gens de la place. Comme il dit : « des bons Canadiens-Français ». De là, comme les affaires allaient bien, il est parvenu à signer des ententes pour opérer des magasins à Malartic, Senneterre, Taschereau, Macamic, Duparquet et une place au Marché public du Forum de Rouyn.

Tout ça en partant de son magasin et entrepôt de base de La Sarre qui était donc un joueur important dans la région, pour faire venir des fruits et légumes des régions près du St-Laurent. On se rend compte à cette époque que rentabiliser le voyage en transportant des marchandises en partant vers Montréal est aussi une bonne affaire. C’était l’époque où les Abitibiens voyaient bleu (pas seulement politiquement). Au milieu de l’été, des hordes d’habitants et leurs enfants prenaient d’assaut les prairies sauvages de partout pour remplir des paniers pleins de bleuets, leur permettant d’arrondir leur fins de mois. Filiatrault achetait les bleuets et les revendait au Marché Central près de Montréal. Deux acheteurs venaient même de Pennsylvanie aux États-Unis pour acquérir jusqu’à 1 500 paniers de 16 livres et demi de bleuets. René se plaisait à dire qu’il se laissait attendrir le cœur par les mères de famille qui arrivaient avec leurs jeunes enfants avec des paniers de bleuets plus ou moins beaux. Il donnait le plein prix quand même. Les bleuetières d’Authier et de Villebois, toutes y passait. René a aussi été jusqu’à acheter et revendre des lièvres au père Boudreault de Dolbeau qui faisait des cannages de viande de lièvre et porc mélangés. Il a même été revendeur de métaux un certain temps puisque comme il dit : « 18 h par jour au travail, ça donne du temps pour faire bien des choses dans une semaine ».

Le couple Filiatrault a vendu le commerce à leur fille Carole qui tient toujours la bannière et y a ajouté la vente de fleur de parterre au printemps. Elle fait notamment affaire avec un producteur de St-Scholastic, puis fait transporter et vend directement à son commerce de La Sarre. René mentionne que sa fille l’a dépassé en qualité de vendeuse. À deux générations, ils ont permi à des milliers d’Abitibiens de se mettre sous la dent ce qui manque en territoire nordique pour manger sainement, et ce, à bon prix, en plus de permettre au reste du Québec de goûter à ce qu’on avait de bon à leur offrir. Un maillon fort pour la santé du corps. Oui, vraiment, faire partie des meubles dans le décor d’une ville, ça ne se fait pas en claquant des doigts.