Réal Couture, 70 ans

Ville-Marie (anciennement Abitibi-Ouest)

Souvent les timides possèdent une force insoupçonnée. Ils sont de fins observateurs qui savent sous-peser les options avant de se lancer dans la mêlée. Le stress aidant, ils veulent être certains que s’ils lèvent la main, cela vaudra la peine d’avoir pris leur courage à deux mains. Réal possède cette qualité et, rapidement après avoir grandi à La Sarre, étudié à Amos et décroché un travail d’enseignant au Témiscamingue, il a commencé une longue suite d’implications durables dans des causes qui recèlent un potentiel de développement de l’humain par le mieux-être. Il devient militant syndicaliste pour améliorer le sort de sa profession, celui de l’éducation en général et même le sort du Québec. C’était à une époque d’effervescence où les syndicats poussaient fort à gauche pour influencer le devenir de la société entière. Réal a plaidé souvent pour les droits des femmes, via l’équité salariale, les congés de maternité et l’intérêt pour faire place à des congés de paternité (une idée pour laquelle il a reçu moult commentaires désobligeants… même si on ne s’en passerait plus aujourd’hui !) Il a défendu beaucoup d’enseignants dans des causes de congédiement non réglementaires en plus de participer à la saga du 30 miles et demi, de Ville-Marie à Angliers, pour que des enseignants puissent recevoir des frais de déplacement (cause gagnée par le syndicat). Il y a eu au cours des années, de nombreuses grèves et autres moyens de pression musclés où Réal a dû participer et souvent défendre ou commenter. Faire une occupation du poste de radio CKVM, ralentir le trafic, couper les voies de circulation complètement par des barricades, etc.

Dans une collectivité où même les grévistes ont de la parenté chez les patrons et où on croise nos opposants toutes les semaines à l’épicerie, je me suis demandé comment Réal avait fait pour oser affronter et réclamer autant sans se faire un mauvais nom chez une partie importante de la population (comme les patrons). La recette de son succès est majeure et elle vous est donnée sur un plateau d’argent aujourd’hui : toujours garder le focus sur le pourquoi de la cause à défendre, et non pas sur les individus qui empêchent de la faire avancer. Les principes et les orientations se défendent bien pour le mieux-être des travailleurs, mais c’est mieux quand c’est fait sans casser du sucre sur le dos des patrons ou en les traitant de tous les noms. Tout est dans la crédibilité par le respect des personnes. Quand c’est fait, tout le monde est plus à même d’écouter, de négocier et de respecter les moyens de pression comme étant valables. Surtout, chacun peut se croiser à nouveau dans la rue, la tête haute, se saluant dignement et murmurant au passage: « C’était de bonne guerre. »

Puis, en 1982 s’opère pour lui un tournant important : de la défense des droits dans le secteur de l’enseignement jugé essentielle par tous, il passe progressivement à la cause de la culture, jugée superflue par bien du monde. Il s’implique alors dans les activités parascolaires à l’école secondaire Marcel-Raymond de Lorrainville, avant de s’impliquer dans l’organisme « La Cave aux arts » qui deviendra bientôt par son argumentaire la « Corporation Augustin-Chénier ». Il épouse la cause du théâtre amateur surtout, et se lance, toujours après avoir bien mesuré la température de l’eau, dans des projets d’ampleur, pour que l’humain s’épanouisse notamment par les arts et la culture :

– Jouer du violon pour que la ministre de la Culture, de passage dans la région, octroie un montant de 20,000$ afin de remettre à flot l’organisme. Ce fut fait.

– Militer pour la création d’une salle d’exposition multifonctionnelle à Ville-Marie. Ce fut fait.

– Défendre la mission multifonctionnelle de cette salle. Ce fut fait.

– Monter le projet d’une salle de spectacle professionnelle, en partenariat public-privé, dans l’ancien cinéma de Ville-Marie. Ce fut fait.

– Réaliser le projet du refinancement de l’infrastructure après le retrait du privé pour qu’il soit un organisme sans but lucratif. Ce fut fait.

– Défendre, tous les 5 ans, les acquis menacés de coupures par tous les gouvernements successifs, en prenant en compte les particularités sociodémographiques du territoire. Ce fut fait.

– Travailler à se donner une identité culturelle témiscamienne forte en créant la Biennale d’art miniature à la salle d’exposition. Ce fut fait.

– Travailler comme président du Conseil de la culture d’Abitibi-Témiscamingue pour qu’on puisse vivre de notre art en région par le premier fond dédié spécifiquement aux artistes d’ici. Le fond a ensuite été imité par plusieurs autres. Ce fut fait, bien sûr.

– Assurer la mise en scène et la coordination de 25 créations consécutives du Théâtre de la Loutre. Ce fut fait.

– Travailler à la création d’une Commission culturelle au Témiscamingue, assortie d’un fond local, et la présider. Ce fut fait.

– Créer les États généraux du théâtre amateur au Québec en plus du Gala des Arlequins, en plus de remonter l’organisme provincial en le présidant. Ce fut fait.

– Relever le financement déficitaire de 150 000 $ de la corporation Augustin-Chénier. Ce fut fait.

– Organiser un regroupement provincial de théâtre étudiant pour que 50 polyvalentes du Québec, dont une du Témiscamingue, aillent jouer « Léo à vélo » de Gilles Vigneault partout dans la francophonie tout en recevant en retour une troupe. Ce fut fait.

– Servir de metteur en scène pour une foule d’événements sporadiques témiscamiens comme des anniversaires de villages, le 325e du Fort Témiscamingue, des ainés, des personnes handicapées et j’en passe… Ce fut fait à chaque fois.

J’échappe ici toutes les implications internationales de Réal, surtout au niveau du théâtre.

Réal est devenu un virtuose de la concertation. Il a une apparence d’homme rationnel au discours posé, mais au fond, il le fait par pure passion. Il a fait valoir le fait que le mot « amateur » ne veut pas dire « cheap et de mauvaise qualité. » Il a inscrit dans les veines des gens d’ici l’idée qu’il y a trois choses à toujours faire tenir en équilibre sur un territoire quel qu’il soit : l’économique, le social et le culturel. Du palier local (son implication dans le Théâtre de la Loutre), il s’est lancé au régional, au national, puis à l’international. Le local peut être une rampe de lancement extraordinaire vers l’extérieur et non un enfermement.

Il a montré que la défense de la culture est parfois un sport extrême, et il a montré volontiers à ceux qu’il a côtoyés les trucs pour prendre le relais. Il tient pour principe que lorsqu’on fait partie d’un conseil d’administration efficace aux objectifs ambitieux, il faut travailler aussi entre les réunions. La culture a gagné ses lettres de noblesse en partie grâce à lui et il se fait appeler à juste titre partout où il va au Témiscamingue : « Monsieur Culture». C’est pas si mal pour un gars qui est un Témiscamien d’adoption et qui s’est toujours considéré comme un homme timide, vous ne pensez pas? Je vous jure que la timidité garde dans sa besace des qualités qu’on a tort de sous-estimer.