
Michel Lessard, 70 ans
Rouyn-Noranda (anciennement Val-d'Or)Parfois, il faut déranger pour que des transformations arrivent.
Michel fut un dérangeur et un transformateur social.
Son paternel saignait à blanc sa propre vie personnelle, sociale et familiale pour une dernière génération de sacrifiés.
Trois ans dans le grand Nord, loin de tout, pour libérer ses trois enfants des vieux dogmes de l’ignorance et leur procurer la bouffée d’air frais de l’éducation supérieure.
Michel excelle dans toutes les matières et au Séminaire Saint-Michel de Rouyn, il fait, comme tous les autres élèves, la grève du silence, pour protester contre la mutation rapide d’un bon et sympathique religieux.
Michel apprend comme les autres au bout de quelques mois que le frère était en fait un agresseur sexuel pédophile et qu’il fut muté par le diocèse au pensionnat autochtone de St-Marc, parce que ce serait soi-disant « moins grave auprès des jeunes Indiens ».
Michel a arrêté de croire en l’institution qu’est l’Église catholique dès ce moment et s’est rebellé.
Michel apprend avec les cours de grec ancien et de latin à déconstruire les mots et les phrases, pour aller à l’essentiel du message de base. Démonter les mots pour recréer du sens avec intelligence.
Au Cégep de Rouyn, dans les premières années, le journal étudiant Le Tremplin présentait un spécial de Noël qui varlopait l’administration religieuse et proposait des changements drastiques en poussant assez loin la liberté d’expression sur les questions sociales épineuses. Sympathique à leur cause et voyant la douzaine d’amis étudiants signataires se faire expulser, il propose l’écriture d’un contre-journal avec d’autres amis.
Michel écrit sur ces pages le parfait contraire de ses pensées, en allant plus loin que les ultra-catholiques bérets blancs. Il avait déconstruit l’argumentaire pour le remonter en effet miroir.
Il va tellement loin que tous voient la supercherie et les étudiants s’arrachent les copies, d’accord avec ses idées.
Le père Roux, un religieux conservateur, le fait venir à son bureau et le somme de changer son fusil d’épaule… ce qu’il ne fait pas. Ce dernier l’avertit qu’il n’a plus d’avenir en enseignement à cause de ses positions.
Avec d’autres, Michel s’arrange pour qu’au cours de philosophie sur les preuves de l’existence de Dieu selon St-Thomas d’Aquin, on puisse lui opposer les arguments forts de Van Stein-Bergen, qui démonte parfaitement ces preuves. Le religieux, qui est professeur, coincé par les arguments habiles et poussés à se prononcer sur-le-champ a fini par avouer du bout de lèvres que Bergen avait raison jusqu’au dernier argument. La cloche a sonné avant qu’il n’ait pu ajouter quoi que ce soit.
Michel a arrêté de croire en Dieu dès ce moment, pour de bon, et s’est rebellé. Michel réussit son Cégep, mais ne peut pas entrer à l’Université Laval de Québec à cause de la lettre défavorable du père Roux à son égard. Il s’inscrit à l’Université à Montréal, où les religieux n’ont pas d’emprise sur son acceptation. Il veut être professeur de cinéma. Lorsqu’il termine, il manque un professeur de cinéma au Cégep de Rouyn et il est le seul à appliquer. Tous sont contents de le voir arriver… sauf le père Roux qui fulmine et refuse de lui parler directement, mais qui n’a d’autres choix que de signer.
Dans les années suivantes, Michel se fait nommer sur le Conseil d’administration du Cégep comme professeur et il talonne le père Roux sur tous les points d’injustices et les marques de favoritisme, au point où le père Roux finit par céder sa place de directeur. Comme professeur de cinéma, Michel s’est fait remarquer auprès d’une génération entière comme l’homme qui découpe et déconstruit les films scène par scène, pour montrer jusqu’où vont les bons cinéastes dans le message qu’ils veulent faire passer. La scène découpée de Rambo 2 en hélicoptère au-dessus du village du Vietnam, reste sa favorite. L’esprit critique se façonne de différentes façons, mais à n’en point douter, l’une des plus efficaces est celle de la déconstruction, du démontage systématique en séquences et en particules pour en arriver à la base.
Michel est fier d’avoir fait du bien à des cerveaux de jeunes plus critiques et méfiants face aux mensonges éhontés de ce monde.
Pour ma part, je me plais à penser que, face à l’écran au Festival du Cinéma international en Abitibi-Témiscamingue se trouvent des centaines d’adultes qui sortent de la salle, capable de mentionner qu’ils ont apprécié un film, mais surtout qu’ils savent dire exactement pourquoi. Des gens insoumis qui pulvérisent les faux-semblants et font chanceler les idées reçues grâce à des gens comme les Michel Lessard de ce monde.





