Michel De Maupeou et Nicole Bruneau, 68 ans
La Sarre (anciennement Montréal)À 6 ans, Nicole Bruneau perd sa mère dans un village du Bas-Saint-Laurent. Le docteur qui vient voir cette dernière la soulève en pleine tuberculose et la jeune voit sous son oreiller une image cartonnée de Notre-Dame-du-Cap. Elle n’a jamais cessé depuis de croire en Dieu et de prier comme le faisait sa mère. Et des prières pour que les choses s’améliorent, elle en avait bien besoin. On la place pendant 4 ans dans un orphelinat qu’elle n’aime pas. Ses prières s’exaucent enfin et son père, qui est malheureusement buveur, se remarie avec une mère bonne pour tous, mais qui a déjà 8 enfants d’un premier lit. Pour subvenir aux besoins de chacun, le père se décide à aller rester dans la petite ville de Terrace, au nord de la Colombie-Britannique. Avec ses deux ou trois mots d’anglais, Nicole est la risée de tous et, probablement par pitié, on lui fait réussir 2 années scolaires avant qu’elle ne convainque son père de la laisser aller gagner sa croûte. N’aimant pas Terrace, elle se paye un voyage infructueux avec sa demi-sœur pour se faire former rapidement et travailler à Montréal.
Peu de temps après le retour, elle voit que la tension monte entre sa demi-sœur Nicole Lechasseur (eh oui, deux Nicole dans une famille recomposée) et le mari de Nicole Lechasseur (un buveur notoire), qui ont ensemble depuis peu, une charmante fille nommée Diane. Paul-Émile, le mari en question, développe une jalousie excessive envers l’attention portée à Diane. Un jour, de retour de la ville, Nicole L. arrive à la maison et voit sa fille en panique avec un souffle saccadé de peur et de douleur. Diane n’a que 6 mois et sa mère verra bientôt qu’elle a des bleus sur le corps. Questionnant son mari, ce dernier rétorque que la petite est trop gâtée et qu’il lui a donné une correction, mais qu’il tient à ce qu’elle ne le dise pas à Nicole B, sa demi-sœur. Promesse non tenue. Durant quelques semaines, les deux Nicole complotent de faire partir Diane et sa mère illico pour Montréal afin de s’enfuir de la violence. Le voisinage n’est pas aveugle et les encourage en silence. Mère-fille partent donc en avion et l’entourage s’organise pour ne pas savoir exactement à quelle adresse elle sera et jouer les innocents devant les questions insistantes du mari violent. Jusque-là, le plan fonctionne plutôt bien, mais Nicole rencontre, dans la grande ville, le curé du quartier qui la convainc qu’on ne sépare pas ce que Dieu a uni et que son conjoint mérite sans doute une deuxième chance pour montrer qu’il est capable de changer.
On voit donc revenir à Terrace au bout de deux mois Nicole L. et sa fille avec un grand découragement. Le manège recommence, mais cette fois-ci, Paul-Émile défonce des murs de sa maison dans ses colères. Les deux Nicole se tiennent de plus en plus souvent ensemble pour passer au travers, mais comme les choses ne font qu’empirer, Nicole L. va voir le médecin qui lui dit sans ambages que si elle continue avec son mari, elle va finir bientôt « dans une maison ronde. » (l’asile) Elle quitte le bureau du médecin, donne le billet du médecin à sa propre mère et complote à nouveau de partir, mais cette fois-ci avec sa demi-sœur Nicole B. Une fois partie, son mari est arrivé en trombe chez sa belle-mère, avec la police qu’il a mise sur le coup pour kidnapping d’enfant afin de lui demander où sont passées les femmes et sa fille. Elle lui répond qu’elle ne sait pas exactement, mais qu’elle a un billet très clair du médecin. Les polices arrêtent donc les recherches, jetant le blâme sur Paul-Émile. Ce dernier ne se décourage pas pour autant et malgré qu’il ne connait pas Montréal et qu’il est illettré, il engage un détective qu’il lance à leurs trousses. Heureusement, Nicole L. a la brillante idée de changer son nom pour Louise Lavallée. Or, rapidement, le détective se met à rechercher Nicole Bruneau qui n’a pas changé de nom. Le trio s’installe à la hâte dans un appartement meublé, mais miteux, tandis qu’elles commencent à travailler dans une usine de confection de linge pour homme et une manufacture de réglisse. Vite le détective les trouve, mais les femmes ne savent pas par quel moyen. Elles devaient tout laisser en plan pour déménager un peu plus loin, souvent de nuit, dans une crainte atroce que Paul-Émile ne les trouve et les tue. Dans les mains de la peur, pauvre est le temps présent.
Nicole L. fait des cauchemars toutes les nuits et, avec les déménagements successifs, elles se retrouvent bientôt à avoir habité un total de 15 appartements en 1 an. Un jour, ils ont compris qu’un gentil homme du voisinage qui parlait souvent avec elles était en fait un traitre qui les suit et les dénonce. Elles s’étaient rendues dans un excellent appartement qu’elles aimaient et, désemparées de devoir partir de nuit après avoir fui de justesse Paul-Émile lui-même, elles se confient en pleurs à la propriétaire. Les doubles loquets ne sont pas assez sécurisants. Celle-ci leur donne un numéro de téléphone d’un avocat charitable qui saurait les aider. Après un autre incident du même genre, elles font appel à l’avocat et leur cause finit par passer en cour. Paul-Émile perd officiellement la garde de sa fille et ne peut que la voir rarement, toujours accompagné d’un autre adulte responsable.
Nicole B. se dit en elle-même que c’est si tragique et horrible la vie conjugale, qu’elle préfère largement s’en passer. Pour sa part, Diane, qui comprend de plus en plus de choses, ne veut jamais passer de temps avec son père. Dans les jeux qu’elle commence à avoir avec sa mère et sa tante, tous rient bien lorsque Nicole B. enlève soudainement son dentier partiel pour faire une grimace. Plusieurs avançaient même que la petite ressemblait plus à sa tante qu’à sa propre mère. C’était pratiquement devenu l’enfant des deux Nicole. Le problème restait toutefois leur condition précaire de vie. Le loyer où elles sont restées 9 mois était infesté de grosses coquerelles qui s’enfuyaient lorsqu’on allumait le plafonnier. C’est sans compter les rats énormes que Diane était prise pour croiser. On l’imagine, lorsqu’elle se levait la nuit pour ramper vers la salle de bain. Une bonne nuit, sa tante l’a même trouvé juste à temps, près du bain, avant qu’elle ne trouve et ne se mette en bouche du poison à rat! Par-dessus le marché, le trio se rend compte qu’il y a des poux dans les cheveux de Diane depuis le dernier appartement. Sa tête en est remplie et ses pleurs sans raison apparente expliquent son caractère du moment.
Après deux ans, Paul-Émile ne se montrait plus intéressé du tout de voir sa fille, mais lorsqu’elle a eu 6 ans, il est revenu dans le décor. Prétextant un changement dans son attitude et dans sa tête (explication qui semblait tenir la route), il montrait patte blanche. Entre deux rendez-vous de fin d’après-midi, il a réussi à obtenir l’accord de Nicole L. afin de passer prendre Diane seule, pour aller la reconduire.
Vous imaginez la suite… il l’a kidnappé aussitôt pour l’amener à Terrace en Colombie-Britannique. Après trois jours et trois nuits de pleurs sans arrêt de Diane, il se met en en parler à la famille à Terrace. Il dit que la petite est trop gâtée encore et qu’après tout ce temps, c’est à son tour de la garder juste pour lui. La famille en panique l’avertit qu’elle pourrait en mourir et en profite pour appeler les Nicole. Aussitôt soulagés de savoir qu’elle est retrouvée, ils envoient la Gendarmerie royale du Canada à ses talons. Il est sommé de rapporter la fille à sa mère dans les 48 heures, sans quoi il fera de la prison. Les Nicole se disent que leur heure est venue et qu’elles seront sans doute tuées par Paul-Émile en revenant les voir. Ne sachant donc pas de quelles manières ce genre de chose se passe, Nicole B. rêve une nuit à une parole biblique : « J’enverrai mes sentinelles. » Finalement, les anges gardiens ont pris une forme humaine, en apparence de policiers qui escortaient la voiture de taxi où était assise Diane durant le trajet. Quand cette dernière a monté les escaliers, elle avait le visage comme atteint de folie. Traumatisée par trois jours horribles, elle avait parfois des comportements bizarres. C’est une psychologue qui les a aidées à s’en sortir et à passer au travers les sévices vécus. Nicole L. a pensé souvent en finir avec la vie durant toutes ces années et sa demi-sœur l’a toujours aidé à s’accrocher. Paul-Émile n’a pratiquement plus revu sa fille ensuite. Vers 10 ans, Diane a vu sa deuxième mère, Nicole B., s’en aller vivre séparément après que Nicole L. s’eut fait de nouvelles amies et une autre colocataire. Il était temps de passer à autre chose, puisque les jours meilleurs se confirmaient et que la petite devenait plus indépendante. De toute cette histoire, il ne reste de vivante que Nicole Bruneau, qui est devant moi, ainsi que Diane et ses descendants.
Toutefois, on ne peut empêcher un cœur de réclamer un peu d’amour. Même si Nicole Bruneau se disait qu’elle souhaitait ne jamais se marier, elle chérissait au fond d’elle un besoin de trouver un homme. Ses prières ont duré 10 ans avant qu’elle ne fasse la rencontre heureuse d’un homme juste, bon et doux. Dans les intentions de prière, des gens de sa famille lui parlait d’un certain Michel De Maupeou depuis tout ce temps, sans même l’avoir rencontré. Comme elle le dit elle-même : « J’ai demandé à la Sainte Vierge qu’elle prépare le cœur de mon mari pour quand je le rencontrerai. » Français de parenté et d’éducation, Michel était de la petite noblesse du Montréal francophone. La main sur le cœur et aussi fervent dans sa croyance que Nicole, il était seul, aussi depuis tout ce temps. Deux solitudes complémentaires se rencontrèrent. Lui, après un passage à la fin de sa formation de médecine à Amos a accepté un poste à La Sarre comme anesthésiste, où il habitait déjà lors de leur rencontre à Montréal. Ensemble ensuite à La Sarre, l’union de leurs cœurs a donné naissance à un fils grand prématuré qui n’a malheureusement vécu que trois mois, laissant ainsi en plan le couple qui avait tant d’affection et d’amour à partager. Se tournant alors encore plus vigoureusement vers la collectivité d’Abitibi-Ouest, ils se sont lancés dans une quantité infinie d’implications, souvent anonymes, pour le mieux-être des gens dans le besoin. Anonymes parce que, comme le dit parfois Michel : « Quand on recevra la gloire des hommes, on ne la recevra pas de Dieu. » Entre vous et moi, on dit anonyme, mais dans un petit milieu, très nombreux sont ceux qui finissent par savoir les gestes de bonté hors norme des gens d’exception qu’ils sont. Arrêtez n’importe qui sur la rue à La Sarre et vous verrez dans leurs yeux éclairés toute la gratitude lorsque ces gens interrogés parleront fébrilement de l’engagement de ce fameux couple dévoué de La Sarre. En terminant avec Nicole, elle fut si marquée par les années en fuite pour bébé Diane, sans compter par son propre enfant qui les a quittés trop tôt qu’elle a développé une fascination pour les bébés. Vous devriez voir tout son corps envelopper un frêle bébé pour lui offrir une protection suprême, comme si ses bras devenaient une grande muraille de Chine autour de lui, offrant mieux pour protéger contre la barbarie, que tous les murs millénaires des châteaux d’Espagne et des fortifications de la terre.





