Mariette Mathieu, 76 ans

Béarn

Le père de Mariette était avant-gardiste et tenait à certaines valeurs parfois peu répandues à l’époque. Alliant la parole aux actes, un bon jour il y est allé d’un essai auprès d’un de ses flots : imaginez un enfant (Maurice Mathieu) dans les années 50 qui se fait donner en cadeau une poupée qui est un bébé NOIR! Encore aujourd’hui, c’est relativement rare, alors… le petit Maurice a pleuré à chaudes larmes, parce qu’il ne l’aimait pas. Le bébé était différent. Maurice a apprivoisé son nouveau jouet dans les jours et les mois suivants,  il a fini par le trainer partout. C’était son enfant à lui en quelque sorte et il fut son confident. Un bon jour où il avait réellement perdu son bébé noir… il a pleuré à chaudes larmes. Il était devenu son préféré.

La scène touchante est entrée dans le cœur de Mariette pour n’en sortir jamais.

Quand Noëlla Audet, veuve et propriétaire du fameux Hôtel Moderne, en plein cœur de Lorrainville, s’est amourachée d’un étranger qui était un homme noir et qu’elle l’a fait venir à Lorrainville pour y demeurer ensemble pour de bon, c’était le premier noir du Témiscamingue. Les rumeurs allaient dans tous les sens. Certains trouvaient cela inconcevable, d’autres curieux. D’autres encore n’avaient rien contre. Dans la famille Mathieu, c’était presque inscrit dans les gènes des enfants qu’un homme noir, c’était aussi appréciable que n’importe quel homme blanc. Ça dépend juste de sa personnalité, pas de la couleur de sa peau, point à la ligne. Il se trouve que Jimmy Desjardins (le noir en question) était sympathique plus que la moyenne et qu’il avait une personnalité très attachante. Il prenait sa différence comme un élément qui le singularisait. Dans la famille Mathieu, on lui donnait d’emblée la chance de se faire valoir, mais son attitude à lui a contribué à élargir et renforcir son acceptation dans la communauté. Il riait de bon cœur des enfants qui le touchaient, en se demandant s’ils auraient du noir sur les mains et jamais il n’a semblé développer un complexe de cela.

La scène touchante est entrée dans le cœur de Mariette pour n’en sortir jamais.

Dans le village de Béarn, on pouvait compter sur une curiosité aux yeux de plusieurs : le nain Placide ! On est dans l’ancien temps et les gens n’ont pas eu le temps de se demander si une petite tête pensait moins qu’une tête normale, ou bien s’il était un petit enfant dans sa tête éternellement, ou encore s’il était aussi capable que d’autres de travailler et de faire les tâches quotidiennes. Ils n’ont pas eu le temps parce que Placide les prenait de court. Il agissait comme si de rien n’était, avec assurance et aplomb. Il causait de politique avec ses propres convictions.

Dans la famille Mathieu, on lui donnait bien sûr sa chance de se faire valoir, pour ce qu’il avait à dire. Il supportait les équipes de ballon-balai et de hockey locales à donner des raclées à l’équipe de Notre-Dame-du-Nord avec les élans habituels des bons supporteurs. Il a même pris plaisir à se faire désigner comme la mascotte de l’équipe.

La scène touchante est entrée dans le cœur de Mariette pour n’en sortir jamais.

Lorsque le frère de Mariette, Charles-Henri, à 20 ans est tombé d’un 7e étage, s’est assommé en chemin et s’est brisé la colonne vertébrale en atterrissant, il est devenu paraplégique sur le coup, perdant définitivement l’usage de ses jambes. Cela a été un drame pour la famille, à n’en point douter. Or, Charles-Henri avait retenu les leçons de son père et des « hommes différents » de son village. Il a adopté une attitude de gars qui est capable. Capable de travailler de ses mains, pour faire des créations en cuir repoussé et du vitrail. Dans la famille Mathieu, on lui donnait la chance de se faire valoir pour ce qu’il avait à offrir, par des encouragements nourris. On l’a vu souvent travailler la matière ligneuse au tour à bois comme ébéniste et même, tenez-vous bien : aller couper son bois lui-même dans la forêt, le fendre et le transporter. Tout cela sans l’usage de ses jambes, en rampant.

La scène touchante est entrée dans le cœur de Mariette pour n’en sortir jamais.

L’acceptation des différences pour l’égalité des chances se fait dans les gestes. Oui, le geste de celui qui assume pleinement sa différence et qui la prend pour alliée à la face du monde, mais aussi le geste noble et simple, sans tambour ni trompette, de celui qui offre un bébé noir en cadeau à son enfant, pour le préparer à voir la différence comme quelque chose d’appréciable. Et… ça peut toujours servir réciproquement, qui sait?

Mariette s’est dévouée une bonne partie de sa vie pour se faire apôtre de cette cause par ses gestes à elle. Le témoignage de ces histoires racontées chez elle, avec sincérité, me frappe.

Pour tout dire… la scène touchante est entrée dans mon cœur, pour n’en sortir jamais.