
Marie-Ange Bisson Guay, 90 ans
TaschereauPendant qu’on discute d’un coin étrange de la pièce de la maison familiale qu’elle a presque toujours habitée, quelque chose attire notre attention. Oui, le coin en vieilles planches de bois de Colombie brun foncé ressemble à un coin de salon de coiffure, et cela en fut un. Mon grand-père maternel était coiffeur pour dames à Val-d’Or et ma mère a, dans un recoin de sa vie, une pièce de son âme couverte de ses souvenirs dont elle nous entretient. Pour Marie-Ange, c’est aussi du bon temps à raconter. Yeux pétillants, elle passe les anecdotes d’anciens temps à remonter des chevelures, les aplatir, mais surtout les tourner avec des bigoudis, pour boucler les cheveux des dames. Quand les fers électriques sont arrivés, plusieurs prenaient peur, semble-t-il. À l’inverse, quand des clientes arrivaient avec une tête pleine de poux, c’est elle qui prenait peur! « Après s’être rendu compte qu’une femme de Laferté avait des poux et des lanthes, et qu’elle avait pris le train et avait encore 4 heures à passer en ville avant de devoir prendre celui du retour en direction de Rouyn pour rentrer chez elle, on lui a assez vite mis de l’huile au charbon pour les tuer et on a passé le peigne fin. » Parfois, c’est avec un savant mélange de nostalgie et de plaisir que Marie-Ange raconte ses souvenirs de coiffeuse, tout comme sa sœur, puis avec sa mère.
L’anecdote touchante de madame Lafontaine est chère à son cœur : cette dame était une sage-femme réputée dans le coin et elle a aidé Marie-Ange lors de l’accouchement de ses trois filles à la fin des années 50. C’est une relation très intime qui se tisse avec quelqu’un lorsqu’on partage un moment aussi important et marquant de leur vie. Support moral, aide aux médecins, nettoyer le bébé, réconforter la mère, poser la main sur son front en caressant son visage doucement. Quelques dizaines d’années plus tard, Madame Lafontaine est décédée et juste avant l’exposition du corps, la famille a appelé Marie-Ange pour qu’elle vienne la coiffer avant d’exposer son corps, le lendemain. C’est une grande responsabilité et c’est assez inhabituel comme demande, mais elle a accepté avec plaisir. Le soir, elle a travaillé doucement ses beaux cheveux blancs pour y installer des bigoudis. Le lendemain, elle est retournée pour les enlever, puis la peigner avec sa touche, comme elle le faisait toujours. Elle connaissait sa tête et l’a rendue resplendissante pour un dernier adieu. C’était maintenant à son tour de poser sa main sur le front de l’autre, alitée. C’est une des formes de « merci » parmi les plus douces que je connaisse.





