Margot Lemire

La Motte

Maison de colonisation à la brunante. Début 50. Frénésie à son comble au sein de la veillée. Tout le monde est là. Nuée d’enfants en pagaille dans l’escalier. Tout le monde scande. Les murs vibrent. « Enwèyes, ma sœur, tu chantes bien comme ça se peut pas. Enwèyes-nous une chanson à répondre. » Deux joues rouges derrières des petites mains blanches. Refus et déception sonore. Conciliabule de sœurs près du poêle. Poing sur les hanches: « Tu penses que c’est toi qui chantes bien de même? C’est un don. Un talent que tu as reçu. Si tu le gardes juste pour toi… t’es orgueilleuse de ne pas l’offrir aux autres. On est là pour que nos talents profitent. C’est-tu clair, ma chère sœur que j’aime tant ? » La minute suivante, une voix d’or emplit la pièce. Autant de cœurs transpercés à l’arbalète d’un vibrato souple et franc. Clins d’yeux de sœurs et applaudissements nourris. Derrière les barreaux de l’escalier, une fillette muette a tout entendu. Première leçon de vie se faisant un nid dans sa petite tête en broussaille.

Au fil des années, sa tante a chanté à tout vent, sans retenue. Pour sa part, la fillette écrivait bien. Elle a noirci du papier de jour comme de nuit, toute sa vie, sans retenue. Et vous ?

À 6 ans, la petite fille à la tête en broussaille attend presque sagement le dimanche après-midi pour saluer le retour du grand-père qui arrive avec ses chevaux entretenir la marmaille de ce qui se passe ailleurs de par le vaste monde abitibien et faire faire un tour. Tout à coup, tous sont alertés. Pépère s’en vient. Margot, se faisant un trou parmi ses sœurs en sautillant, regarde d’en bas le sommet de la côte. Miracle ! Oh génie ! On a une montagne magique à côté de chez nous! On voit sortir de la montagne, avec un soleil western en contre-jour, une sorte de cowboy. La tête du cheval d’abord, puis le corps du cheval, la tête à pépère, puis le carrosse au complet. Il semble sortir facilement de la montagne qui n’avait pourtant pas une mince tâche : accoucher de lui. Mais quel est le mot de passe pour sortir de la montagne? Qu’est-ce qu’il y a d’autre dedans qui attend d’en sortir? Après que pépère ait passé l’après-midi entier sans jamais faire allusion à sa sortie spectaculaire, la petite demande à son père : « Est-ce que tu m’amènerais demain voir le top de la côte? C’est très important, papa. » Au lever de soleil suivant, Margot et son père (qui arrête à tous les 100 pieds pour reposer sa jambe se sachant souffrant de polio) escaladent tranquillement la côte. La petite va enfin pouvoir connaître des trésors inestimables à raconter à l’école. Peut-être qu’Alibaba avait vu juste avec : « Sésame, ouvre-toi » et que 40 voleurs vont sortir du trou. Mettant fin à sa rêverie avec les derniers pas du dessus de la côte, son père lui explique que le chemin continue simplement de l’autre bord de la pente. Pas de trou. Pas de formule. Qu’un chemin sans fin. Margot a alors appris la mort du « soudain » et de « l’inattendu ». Ce qui nous arrive a prévisiblement une histoire qui remonte à plus loin que ce qu’on pense et qui s’en va probablement au même endroit d’où il est arrivé.