
Marc Lemay, 67 ans
Rouyn-Noranda (anciennement Amos)À 9 ans, Marc vit la descente aux enfers de la famille Lemay. La faillite de Lemay Cola instaurée par son grand-père qui a eu le malheur de se faire avoir dans un investissement dans l’élevage de chinchillas a atteint fortement l’entourage. De famille d’affaires très prospère qui pouvait envoyer promener Pepsi en disant qu’ils pourraient les racheter d’ici quelques années, ils se sont retrouvés à donner leurs meilleures recettes à Pepsi en 1959. C’est ainsi que le crème soda, le ginger ale, le soda aux fraises et l’orangeade que Marc aime tant, sont, encore aujourd’hui, en tout point semblables au goût du Lemay Cola d’époque. Les aînés d’Amos, en y ayant goûté, en sont témoins. Le lustre de la famille était terni et Marc, avec ses deux parents impliqués dans l’entreprise, l’a pris très durement.
Après des années de commerces itinérants qui fonctionnaient relativement bien pour ses parents, Marc est devenu avocat. Il a travaillé rapidement à l’Aide juridique à Amos, puis un peu plus tard, au bureau de Rouyn-Noranda. Toutefois, c’est la vie parallèle de Marc qui le passionne le plus : le cyclisme. Il a coursé aux premières éditions du Tour de l’Abitibi, pour se rendre compte qu’il ne sera jamais un champion sur route, mais bien un champion de bureau. Il excelle dans l’organisation et c’est là qu’il s’impliquera dorénavant. En 1980, après quelques coups bas de la Fédération de cyclisme du Québec en lien avec l’organisation du Tour de l’Abitibi, il décide de monter plus haut pour siéger au provincial. Il se fait nommer vice-président. Or, 6 mois après, le président décède subitement et Marc devient donc président. Il patine en anglais et se présente à la Fédération canadienne en constatant avec deux autres provinces qu’il y a iniquité, puisque les votes des provinces se font au prorata du nombre de membres… ce qui est en défaveur de bien des territoires. Marc réussit à faire changer cela lors d’un putch bien orchestré et on le nomme nouveau président canadien en 1981. C’est alors qu’il constate qu’il doit se rendre représenter le Canada au congrès de l’Union cycliste internationale à Madrid en Espagne. Il atterrit à Lisbonne au Portugal, prend le train longuement, puis l’autobus dans un trajet total de deux jours pour arriver à peine quelques heures avant la grande rencontre annuelle. Celle-ci s’ouvre et elle ne dure que… 25 minutes!!! Tout était décidé d’avance dans les rencontres informelles des jours précédents. Il a compris le message et sait qu’il est assis sur la chaise de président pour un mandat de 4 ans. À l’époque, trois comités internationaux dirigent le cyclisme : L’Union cycliste internationale, la Fédération amateure et la Fédération professionnelle. Comme les Américains et les Français refusent de parler la langue de l’autre, lui, qui commence à devenir bilingue, sert de traducteur dans les réunions en se faisant une tête sur ce qui se passe là, et en finissant toujours de la manière suivante : « n’oubliez pas de m’envoyer vos meilleures équipes juniors au Tour de l’Abitibi! ».
À partir de 1981, le Tour reçoit donc ses premières équipes internationales avant de devenir la seule étape junior importante au classement, hors de l’Europe. Suite à l’incident impliquant le canadien Gordon Singleton, disqualifié supposément injustement lors d’une compétition importante et qui a fini en incident diplomatique à l’UCI où Marc a dû manœuvrer pour régler le cas en 1982, il a gagné sa crédibilité auprès des vieux bonzes européens. Puis, il s’est fait ré-élire comme président canadien pour un deuxième mandat de 4 ans, après avoir monté une véritable fédération de vélo de route beaucoup plus solide qu’avant au niveau canadien. Mais, il rêve d’aller plus haut encore et pour avoir un siège permanent à l’UCI, le seul moyen à prendre pour lui est d’apporter une nouvelle discipline.
Marc voit alors le vélo de montagne comme un sport en pleine montée qui pourrait devenir éventuellement mieux organisé et une nouvelle discipline, mais cela doit passer par la création d’une Fédération internationale de vélo de montagne. Il plaide son point, mais il se bute à des sceptiques. Il finit par les faire saliver en leur expliquant que c’est un des seuls moyens de se rendre un jour en discipline officielle aux Jeux olympiques. Ils lui donnent 0$ et deux mois. Marc Lemay accompagné de quelques délégués, fait alors venir des représentants des É.-U., du Canada et des principaux pays européens pour mieux les séquestrer durant une fin de semaine, rue Dunkerque à la Fédération française de cyclisme à Paris. Les échanges ont été musclés. Chacun se pensant détenteur de la meilleure façon de faire et prêt à claquer la porte à tout moment, mais restant là sous promesse que c’est un passage obligé s’ils veulent un jour voir du vélo de montagne aux Jeux olympiques. Marc les a retenus jusqu’à ce qu’ils en ressortent avec une Coupe du monde incluant les dates et les lieux, des cours de formation des commissaires, 22 commissaires internationaux nommés et les règlements de base. Il ne restait qu’à trouver un commanditaire… qui est venu tout seul. La grosse compagnie européenne Grundig flairait la bonne affaire et était prête à donner sur-le-champ 4,200,000$ US. Marc est revenu ensuite comme promis à l’assemblée annuelle avec ses devoirs faits, sciant les jambes à tout le monde. Nous étions en 1991. C’est ainsi qu’il est devenu membre du comité directeur de la Fédération amateure et président de la Fédération mondiale de vélo de montagne avec un budget plus gros que celui de la Fédération elle-même. 1992, le nouveau président du CIO affirme vouloir réunir les Fédérations amateures et professionnelles sous un même chapeau et faire de la place à des sports en développement. C’est parfait pour Marc qui a toujours en tête de livrer la promesse qu’on se rendrait aux olympiques. Mars 1993, Marc se fait inviter à Cuba avec un club sélect pour parler de l’intention du directeur des prochains jeux d’Atlanta de donner la part belle au vélo de montagne en pleine croissance aux États-Unis, quitte à tasser un peu le vélo de route. Oups, c’est beau pour Marc, mais c’est 4 ans plus tôt que ce qu’il s’attendait. Il joue alors aux cartes, en disant que c’était tout à fait possible de s’organiser si la demande était faite officiellement, mais il a besoin d’un mois. Le stress monte et il mentionne cela à sa gang, mais chacun doit se fermer le clapet au début du championnat du monde de vélo de montagne à Métabief… ce qu’ils finissent par réussir péniblement (retenir un Lemay de parler, c’est un défi). En septembre 1993 (soit quelques jours après), c’est à Lausanne que le CIO se réunit pour finaliser le programme officiel des jeux de 1996 à Atlanta. Marc est là et au même moment, la grosse compétition à Métabief bat son plein. Il nolise un autobus pour transporter les membres sur le site de la compétition pour qu’ils puissent constater l’engouement. C’est eux-mêmes qui proposent de faire plus en prenant le téléphérique et en descendant à pied la pente pour voir les compétitions. Ils sont charmés et le vélo de montagne répond déjà à tous les critères pour les Olympiques : ouvert autant aux hommes qu’aux femmes, sport stable et pratiqué sur les 5 continents. Le lendemain, 19 septembre 1993 à midi, Marc reçoit un coup de fil du grand M. Verbruggen lui disant : « Félicitations ! Vous serez aux J.O. en 1996 et vous allez ouvrir les Jeux en plus! » Dans les minutes suivantes, Marc qui était à la compétition de Métabief a vu le commentateur principal de l’événement arrêter tout et annoncer presque en criant que le vélo de montagne serait aux Jeux olympiques d’Atlanta dans moins de trois ans.
Le mouvement de foule instantané, Marc l’a vécu sur ses bras. Ses poils étaient bien droits comme la foule en liesse dans ce moment grisant qui a lui coûté cher en bouteilles de champagne. Il importe toutefois de préciser une chose.
S’il est l’un des trois seuls canadiens à qui l’on doit d’avoir inscrit une nouvelle discipline au J.O, c’est sur un règlement précis auquel il a tenu mordicus qu’on peut dire que Marc a eu le plus grand impact positif direct sur la vie de millions de personnes à travers le monde. En effet, il tenait à ce qu’il soit interdit aux cyclistes de vélo de montagne de pouvoir changer de vélo en cours de descente, en cas de bris mécanique. Cela empêchait non seulement que les pays riches se payent d’incroyables équipes d’assistance technique et 5 vélos pour une seule descente, mais aussi, et surtout, cela a propulsé toute l’industrie du vélo à améliorer toutes les composantes pour que le seul vélo à utiliser soit blindé, léger et incassable (meilleur câble de frein, chaine de vélo incassable, pneus presque increvables, siège télescopique). L’impact fut si fort qu’en deux ans seulement, même les vélos à 100$ des magasins à grande surface comportaient des améliorations notables et chacun des experts s’entendait pour dire qu’un vélo de route était toujours nécessaire pour l’endurance, mais que le vélo de montagne était aussi indispensable pour aller chercher l’agilité de l’athlète. Qui n’a pas eu son propre vélo de montagne à la fin des années 90 ? C’est en bonne partie à ce grand nom qu’on le doit : Marc Lemay. C’est sans compter son implication à long terme dans le Tour de l’Abitibi. Tout cela jusqu’au tournant des années 2000, il l’a fait en demeurant avocat à Amos, puis à Rouyn-Noranda presque à temps plein.
Ainsi, jamais Marc n’a vu marcher côte à côte la gloire et le repos. Comme on pourrait dire : aujourd’hui l’Abitibi-Témiscamingue, demain le monde! Maintenant, lorsqu’il monte, par de longues journées chaudes, la côte Johanne en vélo, debout à grandes enjambées, environné d’un glorieux nuage de flashbacks heureux, il décolle une main du guidon, empoigne sa gourde pleine d’orangeade au goût de la recette de son père et il boit une grande gorgée qui n’a rien d’amer, parce qu’il sait qu’il a redonné tout le lustre d’antan au nom Lemay et j’oserais dire, à l’apporter plus haut encore.





