
Madeleine Lévesque, 85 ans
Rouyn-NorandaPar 6 fois, Madeleine s’est fait voler parmi les plus beaux moments de sa vie de femme. Par 6 fois, dès que ses contractions commençaient, annonçant prophétiquement la venue au monde prochaine de son enfant, elle se voyait projetée dans le trou noir de l’oubli. Oui, au moment où le corps se prépare et où les yeux cherchent de quoi se rassurer, on lui met sous le nez un chiffon imbibé de chloroforme. Un, deux, trois, c’est oublié. « Le corps a travaillé sans vous madame et nous, comme médecin, on a aussi travaillé sans vous, mais voici maintenant sans que vous ayez eu à souffrir… votre bébé! » Les inhumaines pratiquent de médecine obstétrique des années 50 étaient ainsi faites. Pas vraiment le choix: 6 fois, Madeleine aurait voulu vivre cela en parfaite conscience, mais on lui a ravi ce moment. Toutefois, comme le couple habitait à Rapide-Sept loin dans le bois, la route était longue vers l’hôpital de Rouyn-Noranda. Suffisamment longue pour qu’une seule fois Madeleine n’ait pas le temps de se rendre avant que la petite s’engage à sortir. C’est donc à la hauteur de la rivière Bousquet, les roues dans la garnotte au bord de la 117, qu’elle eut l’occasion de vivre le sentiment inextinguible et puissant de sentir sa petite Lise sortir de son propre corps. Tous les nerfs mobilisés, cette délivrance extraordinaire sans parler du souffle coupé qu’on a lorsqu’on attend le cri de l’enfant. Enfin, il prend son air! C’est parfait. Elle est parfaite! Madeleine l’a vécu et elle en porte encore la mémoire vivace. Tendre à ses souvenirs, ce moment est un de ses préférés. C’est aussi par la tendresse qu’elle a rassemblée des femmes par milliers pour révolutionner tranquille. C’est en posant sa main dans celle des autres qu’elle a vécu une vie d’engagement social fécond. Elle a marqué son époque dans toutes sortes de mouvements, en constatant que les attitudes changent moins vite que les lois et les institutions. Au crépuscule de sa vie, elle souhaite toujours l’authenticité simple et pure aux femmes qu’elles croisent, pour s’éloigner des déceptions, des bonheurs de façade et des malaises. Et… lorsqu’elle parle avec certaines de la mise au monde de leurs enfants respectifs, la vie lui a au moins permis d’avoir un récit à partager.





