Lucille Paquin-Marcotte, 77 ans

Senneterre

Lucille était bien mariée. Son beau et bon Alban Marcotte, rencontré en travaillant à 12 ans au Resto chez Piette, a été son protecteur toute sa vie. Toutefois, à un certain moment dans la vie, l’énergie et la pensée cherchent à sortir de la maison. Ce n’était pas de fuir les trois enfants qu’était le projet, mais d’aider Alban à payer les comptes et les études éventuelles des flots en travaillant au Centre-ville de Senneterre et, bien sûr, de voir du monde. On fait un test pour sortir en journée et faire garder les enfants. Un long soupir au bord de la porte… les trois marmots pleurent d’une peine inconsolable à l’idée de perdre leur mère pour quelques heures. « Ça n’a pas de bon sang, ma femme, il faut que tu restes à la maison avec eux autres. » OK. Faisant les 100 pas, revire la situation d’un bord et de l’autre. Vouloir voir du monde, aider son prochain, gagner quelques sous, mais pris pour rester à la maison. En discutant avec Mme Poirier, la route se trace d’elle-même quelques années plus tard. Si je ne peux pas sortir d’ici voir le monde, le monde va venir à la maison. On agrandit et réaménage l’étage supérieur. En plus de recevoir en permanence la mère de Lucille et sa sœur, Mme Poirier inscrit la famille en qualité de foyer nourricier, pour héberger et nourrir des jeunes autochtones dès 1979, après la fin du régime des pensionnats. « Cette année, es-tu capable d’en prendre deux de plus Lucille? Ben, y sont quelques-uns par chambre, mais oui. »

Au bout de quelques années, il arrivait qu’avec 9 autochtones Cris et Algonquins en pension, les trois enfants qui revenaient parfois dormir chez eux, une fois grand. Avec Alban et Lucille en cuillère ainsi que sa mère et sa sœur en travailleuses bénévoles, la maisonnée contenait, en forçant, jusqu’à 16 personnes. Elle dépassait secrètement, mais de manière jouissive pour Lucille, les 14 d’une maison voisine où l’enfantement massif remplissait la place d’une charge sonore de cris et de rires confondus. À bien y penser toutefois, le projet de gagner des sous avec cela en arrive à être bien léger sur la balance, en comparaison avec le bon temps passé avec les nombreux jeunes que le besoin apporte. Son mot d’ordre : « Ne perdez pas les habitudes de votre race; entre vous autres, vous pouvez parler votre langue sans problème ». Gâteau des Rois, tuque tricotée chaque année, Bannik en demande spéciale, tout était bon pour leur faire sentir appartenir à une famille agrandie. Lucille assouvissait son désir de grouiller et d’aider des gens dans le besoin, mais directement de chez elle. Comme elle le dit si bien : « Le travail, c’est d’apprendre toujours.» Elle avait si bien appris qu’au sortir de cette expérience de 12 ans elle a voulu aider autrement en sortant de la maison.

Elle s’est retrouvée alors au bord de la porte d’entrée pour s’en aller de chez elle et… plus aucun enfant n’était là pour la retenir en pleurant. Au contraire, tous les jeunes étaient majeurs et vaccinés, volant de leurs propres ailes. Son bagage lui a servi à implanter puis diriger la Fondation Marie-Reine à Senneterre, en support aux femmes battues et aux enfants victimes d’inceste, à faire du bénévolat au restaurant de l’Aréna ainsi qu’à tous les niveaux à la Coop funéraire, jusqu’au décès de son mari.

Des dizaines de femmes et d’enfants doivent à Lucille la direction de la courbe de leur vie qui a cessé de pointer vers le bas. Des dizaines d’autochtones maintenant parents lui doivent leur perception d’une cohabitation harmonieuse, possible avec des allochtones sans se faire enlever leur identité. Lucille nous enseigne tous par son parcours de vie qu’il n’est pas indispensable de sortir de la maison pour faire une différence dans la vie des autres. Il suffit d’être attractif et d’apporter entre les 4 murs d’une maison chaude et agrandie de grandes brassées de bienveillance sincère. Gageons qu’au moment de sortir de ce monde pour mettre un pied dans l’Éternité, il y aura des centaines de gens sur le seuil, pour tenter de la retenir par leurs pleurs abondants.