Louison Fortin, 65 ans

La Sarre (anciennement Ste-Germaine-Boulé

Il y a quelques années, Louison travaillait dans une usine de bois à Amos (poutres jointées). Il fait partie d’une équipe de travail de 6 gros gars. Louison est un excellent gars d’équipe. Cela a toujours été le cas, et la communication est très bonne entre les six coéquipiers. Le contremaître qui les surveille s’appelle Daniel. C’est un gars qui a déménagé à Amos spécialement pour la job avec sa famille, mais il est parfois dur avec son monde. Les gars ont pitié de lui parce qu’ils se doutent bien que Daniel se fait pousser par les directeurs au-dessus de lui pour adopter une attitude intransigeante. L’équipe endurait toutefois cette situation depuis un bon moment. Un bon jour, Daniel descend voir la gang et commence à les sermonner. Il en beurre épais et sa crise dépasse les limites habituelles. Les gars, impassibles, l’écoutent avec les bras croisés. Tandis qu’il est encore rouge, quand il a eu fini de parler, Louison s’est avancé et lui a dit en le fixant droit dans les yeux : « Toi, Daniel, t’as besoin de quelque chose. Veux-tu, moi, je vais te le dire de ce que t’as de besoin? » Suite à un simple contact visuel furtif avec les autres, le groupe se déplace et forme maintenant un cercle autour de Daniel qui panique intérieurement. Dans le regard de Daniel, on commence à lire la nervosité d’un homme qui a peur d’avoir dégoupillé comme une grenade qui va sauter dans quelques secondes. Il est certain que la réponse sera: « T’as besoin d’une claque su’a yeule. » Daniel ravale difficilement et reprend le contact visuel avec Louison. Ce dernier change alors de face et dit d’un trait : « Toi, t’as besoin d’un criss de gros câlin. » Et l’équipe se jette sur Daniel pour lui faire un câlin collectif bien senti. Une équipe de 6 gros gars dans une shop à bois en Abitibi se font une improbable accolade de groupe. Oui, dans un milieu de testostérone et d’orgueil, ces hommes-là ont donné une forte étreinte de gars. Le genre d’étreinte musclée du père qui n’a pas vu son fils depuis un an et qui parle plus par le geste que par la parole. Bref, après de longues secondes de pur bonheur à faire slacker la pression d’un coup, quand les gars se sont reculés, Daniel était tout ramolli, ne sachant plus sur quel pied danser. C’est avec un sourire béat qu’il est retourné à son poste. Après, entre l’équipe et lui, ça n’a plus été pareil. Les choses avaient changé pour le mieux. Tout avait été dit presque sans parler.

Cette anecdote n’est pas anodine ni tombée du ciel. Louison est un spécialiste pour désamorcer. Dès son plus jeune âge, il voyait son père péter des saintes colères à des policiers ou chialer à n’en plus finir à propos de la température ou de quelques problèmes techniques lorsqu’il revenait à la maison. Lorsqu’elle sentait que la crise avait assez duré et que son homme s’était suffisamment défoulé verbalement, la mère de Louison disait à son homme d’une voix posée, mais forte : « Là, Antonio, t’en as assez dit. C’est assez! » C’était fini et on pouvait alors passer à autre chose. Louison a vu son père sur le point de perdre sa femme d’une hémorragie et il s’est mis à comprendre qu’en général, derrière les crises carabinées se cache une vulnérabilité. Louison a appris à rire des crises de colère et à ouvrir des discussions franches avec des mafiosos sur des chantiers pour mieux comprendre et utiliser ses connaissances de désamorçage des bombes humaines que sont certains. Il a vécu la difficile grève de Normick Perron de La Sarre en 1980 qui a marqué toute une collectivité au fer rouge, puis celle de 1984, après quoi les choses ont changé.

Ses prises de position, son insistance sur un sain climat de travail, la camaraderie et plusieurs autres caractéristiques font de lui un leader humain, tout comme Pierre Moreau, un ancien directeur de Norbord, qui l’a impressionné jadis. Les deux partagent le fait qu’on sentait facilement leur présence lorsqu’ils arrivaient quelque part et, à l’opposé, lorsqu’ils sont partis de leur poste, on sentait facilement leur absence.