Louis Corriveau et Germaine Paquette, 79 ans
AmosIl était une fois, au pays de l’eau pure, un coffre à outils qui fit la rencontre d’un livre! Le coffre à outils était fort, agile et bien rempli. On entendait souvent les gens autour dire : « Louis s’en vient; lui, y va trouver le trouble » ce qui est bien mieux, avouez, que quelqu’un qui cherche le trouble😉. En arrivant quelque part, avec son sens de l’observation, ses déductions et sa minutie, il lançait : « Ça marchait en entrant icitte… ben ça va marcher en ressortant d’icitte ». Quant à lui, le livre, tout en finesse, comportait des informations éclairantes ainsi que des mondes imaginaires, des mondes réels et fascinants dans des chapitres aussi nombreux que colorés, traitant souvent de l’histoire nationale québécoise.
Au moment de leur rencontre amoureuse, le livre se disait prêt à ajouter du volume et rêvait de voir de nouvelles lignes écrites sur ses nombreuses pages encore blanches. Pour sa part, le coffre à outils rêvait de se servir plus souvent de ses outils donnés par son éducation, voire même d’en ajouter au contact de quelqu’un qui saurait lui inspirer confiance et l’amener plus loin dans la vie. Pour la courtiser, il s’est souvenu qu’il avait un crayon de menuisier dans le fond de son coffre… ça peut toujours servir. Il raconte qu’avec ce crayon, il a déjà écrit des lettres d’amour pour ses collègues du chantier forestier à 16 ans, en trafiquant quelque peu ce que les gars proposaient d’écrire. C’était dans le but d’enjoliver les sentiments et tasser la jalousie. Bref, ce crayon-là, il a de l’histoire! Oh! Si ça a de l’histoire, ça intéresse Germaine le livre, c’est certain!
« – Heureux ou malheureux, l’homme a besoin d’autrui. Il ne vit qu’à moitié s’il ne vit que pour lui.
– L’amour fait faire autant de sottises que de grandes choses. L’amour profond supplée à tout.
– Il suffit d’aimer pour être amoureux, mais il faut témoigner son amour pour être amant….
– Être admiré n’est rien, l’affaire c’est d’être aimé. »
Eh oui, on a vu passer par la suite dans les rues d’ Amos un des coffres à outils les plus scintillants en ville, marcher au côté d’un beau livre fier. Le livre consignait les nouvelles histoires du couple dans ses pages. Il se souvenait du temps jadis où il fut plein de versets bibliques auprès des religieuses, mais tout compte fait, bâtir une vie avec un être bon et attentionné valait bien de laisser en plan une supérieure intransigeante pour mieux écrire des lignes, en tant que laïc.
Ils se sont fréquentés quelques années presque toujours, selon les convenances d’époque avant de se marier. Bon, je dois vous dire ici qu’à ce moment de l’histoire, pour ce qui est de faire des enfants, ça ne prend pas juste de bonnes intentions… Mais à l’époque, lorsqu’on est un coffre à outils et qu’il nous était presque interdit de se tenir avec autre choses que d’autres coffres à outils, on se demande quoi faire au moment opportun.
Disons qu’il a sorti de son coffre… un tournevis, tandis qu’elle a dû ouvrir le livre à l’endroit où il y avait un signet. Bref, je n’irai pas plus loin sur ce moment précis, mais quelques années plus tard, ils ont eu respectivement une abeille (Martine, la timide, mais persévérante), une souris (Joëlle, la fonceuse, expressive), une polisseuse (Daniel, le doux et polyvalent), une balance (Carole, la bonne négociatrice et déterminée) et un disque dur (Donald, l’intellectuel).
Je dois vous dire aussi que le livre à ce moment s’est retrouvé avec les pages toutes écartelées tellement il fallait penser à tout et travailler au bonheur de chacun, pendant que le coffre à outils faisait le bonheur de ses patrons et du monde avec qui il travaillait 70h par semaine pour apporter des sous. Quand Germaine le livre est allé travailler aussi, c’était pour faire lire et relire un chapitre ad noseam, celui bien technique sur la propreté en contexte de microbe. À l’hôpital d’Amos, on voulait toujours d’elle ce fameux chapitre. Elle n’avait plus le temps de lire autre chose durant un certain temps, ni même d’histoires aux patients, mais elle n’a pas laissé sa passion en veilleuse trop longtemps, puisqu’elle a montré très tôt les plaisirs de la lecture à ses petits.
Bientôt passé maître dans l’art de se servir d’une foule d’outils en tout genre, Louis s’est mis à s’attaquer à des gros morceaux. Paul Carrière, son patron, avait pleinement confiance en lui et quand il a dit qu’il serait possible de créer une machine qui enlèverait mécaniquement les branches d’un arbre sur le parterre de coupe, M. Carrière a sauté sur l’occasion d’être un pionnier et au diable la dépense. Travailler durant 2 ans avec tous les outils possibles et inimaginables avec l’aide d’un soudeur presque à temps plein fut gratifiant et au moment de montrer à tous que le toute premier ébrancheur en Amérique du Nord venait d’être inventé, elle faisait 11 arbres à l’heure (c’était déjà bien) et augmentait la productivité de l’industrie. Il a ensuite fait pareil pour une chargeuse de train facilitant ainsi le travail de dizaines d’hommes et des milliers d’autres par les copies de la machine. Le génie dont il a fait preuve, il l’a fait en toute humilité sans s’en vanter. Un coffre à outils, ça sait refermer le couvercle lorsqu’il le souhaite.
Parallèlement à cela, Germaine, en tant que livre d’histoire, allait récemment passer à l’histoire tout court à la télé (oui, monsieur !) en allant en Russie assoiffée de connaissance sur l’aérospatiale cette fois-ci. Croisant dans le couloir de l’agence spatiale russe Guy Laliberté lui-même, sortant d’un entraînement pour être un des premiers touristes de l’espace au monde, elle s’est mise à parler avec lui tout bonnement comme s’il venait d’Amos, caméra braquée sur eux et sourire aux lèvres. La fière Québécoise qu’elle est s’est retrouvée propulsée en image sur les réseaux nationaux. Pour un livre, c’est toute une histoire. C’est sans compter les milliers de gens qu’elle a contribué à aider directement à l’hôpital en étant un livre ouvert à la confidence ou indirectement en évitant à plusieurs de repartir avec plus de microbes qu’en y entrant par l’aseptisation des chambres.
Toutefois, dans la vie, tout n’est pas rose non plus. Il arrive des jours où tous les outils du monde ne servent à rien lorsqu’un décès survient subitement. Arthur, au pont de la Quiny, mort suite à une manœuvre en camion dans le bois. C’est triste et déchirant, mais il était trop tard. Avec un accident de travail qui a coûté un œil et même la vie de Louis avant qu’on le fasse revenir dans ce monde, il est revenu à lui tranquillement. Après des événements de la sorte, les outils prennent un peu de rouille sur les coins et le couvercle craque… mais on tient bon. Pour un livre d’histoire, malgré le chapitre sur la propreté qu’elle connaissait bien, lorsque les grands patrons et les politiciens décident de couper dans le ménage et la salubrité dans les années 90, même si on tourne des pages à la tonne avec tous les arguments du monde, on doit parfois se résigner. Quelques pages s’usent ainsi sur les coins. Ce n’est pas grave, on avance quand même.
Or, ce qui est fantastique c’est toute leur vie donnée à aider les gens autour. Sortir les outils pour donner un coup de main, inventer des améliorations techniques pour aider le travail des hommes, faire de leurs enfants une priorité pour bâtir un monde meilleur une personne à la fois, raconter des histoires pour montrer d’où on vient et où on pourrait aller, aider son prochain sans jugement et le tout dans le sens de la justice et de la charité… a fait en sorte qu’aujourd’hui, quand on y pense, un livre et un coffre à outils, c’est encore tout à fait utile, appréciable, voir inestimable quand on pense à ce qu’ils contiennent de richesses insoupçonnées et par où ils sont passés. Oui, car un coffre à outils et un livre se sont aimés quelque part au pays de l’eau pure dans une époque de mouvance pour faire de l’entourage, des êtres de respect, de justice, de débrouillardise, et d’histoire. Des êtres qui avancent droits et confiants vers leur destinée. Leur duo, en valeur forte, brille pour longtemps encore au panthéon de nos souvenirs.





