
Louis Clouâtre et Monique Desrochers, 81 ans
Ville-Marie (anciennement Fabre)Au comptoir familial Jean XXIII de Ville-Marie, on voit entrer un homme d’un âge certain par la porte d’en avant. Il passe au travers des rangées, mais son comportement est étrange. Sa voisine de rangée le regarde, un peu surprise: « Voyons donc! Au lieu de regarder le linge avec un peu de recul et d’évaluer si les motifs sont à son goût, il cherche l’étiquette. Hein? Il magasine autant dans la section des hommes que celle des femmes, pis dans toutes les tailles par-dessus le marché. Il regarde les coutures. » Louis n’essaie aucun morceau avant d’acheter. Il n’achète que les morceaux en coton. Tu parles d’un énergumène. Allergique? Vieux toqué? Pas du tout ! Louis apporte le tout dans son sous-sol, avec sa femme Monique. L’endroit est vert, mais brun. En effet, il ressemble à une vieille shop de patenteux, brune de couleur réelle mais qui crie d’un vert écologique puissant. Les deux taponnent le linge assidûment et sourient en voyant que les coutures conviennent au projet. Une petite incision au ciseau et hop! il prend le fil qui dépasse. C’est du coton à 4 brins. Il sépare deux brins d’un côté et deux de l’autre qu’il commence à enrouler sur un petit bâton de carton. Une fois attachés, il appuie sur une pédale au sol et la magie opère. Son invention patentée, issue d’une machine à coudre, découd maintenant en faisant tourner les bobines qui filent du beau coton, donnant l’impression d’être tout neuf. La machine chauffe et ses doigts séparent habilement les brins de coton. Le chandail voit partir ses motifs, son savoir-faire de chinois industrieux, son designer américain, son histoire de réchauffage d’un québécois durant 15 ans, dont 10 où il était beau et 5 où il était passé de mode, sa solitude de linge usagé et la prévision d’un voyage vers les vidanges se sachant non recyclables. Non recyclable, certes. Détricotable, certainement. Recréable sous les mains très très patientes d’un improbable démonteur. Un démonteur de tissu. La bobine est complète. On coupe et on recommence. C’est bientôt aux manches et au col d’y passer. Le tissu s’est complètement sublimé. Louis et Monique arrivent donc avec 12 bobines de coton aux métiers à tisser, des fermières de Fabre, comme si de rien n’était. Ils en ressortent avec 12 linges à vaisselle de toute beauté, efficaces et à 0,10$ de prix coutant en coton pour chaque morceau. Trois-quarts du temps à découdre et un-quart à tisser du neuf, mais quel geste écologique. Quelle volonté ! Quelle ingéniosité ! Une retraite passée à faire cela: 500 linges à vaisselle par an. Tous recyclés. Des nappes de table, des couvertures de bébé qu’il donne. 100 pour cent réutilisé. Il est le seul à le faire maintenant. En 2018, il n’y a plus aucune filature au Québec depuis longtemps, mais en vérité je vous le dis… il y en a une dans le sous-sol de chez Louis Clouâtre et Monique Desrochers à Ville-Marie, au Témiscamingue. À partir de là, un monde de toutes les couleurs est possible, mais, à mes yeux, c’est toujours vert. Vert écologique.
Ils ont réinventé les vieilles paroles célèbres de Lavoisier, un des pères de la chimie moderne : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Tout se transforme : cela vaut bien de se faire regarder étrangement dans les friperies, n’est-ce pas?





