Jeannette Caron, 88 ans

Amos

« Jamais dire non! »

Ma mère disait toujours ça.

Pis dans le temps, dans les façons d’avant, pour une femme… c’était normal.

J’étais l’ainée d’une famille de huit.

J’ai pas joué beaucoup. Je devais faire manger les plus jeunes, pis les bercer pour aider ma mère.

« Jamais dire non! »

C’était pas permis dans mon jeune temps de « jeunesser » avec les gars, avant d’être mariée.

À 16 ans, ma mère m’a demandé de faire des relevailles pour des femmes des environs qui venaient d’accoucher. Aider aux tâches de la maison et faire à manger, même si je ne savais pas comment.

« Jamais dire non! »

En marchant un bon soir, une fille que je connaissais me dit d’aller donner mon nom pour nettoyer les vitres du nouvel hôpital d’Amos qui venait juste d’être construit. On était en 1947.

Pas longtemps après, un patron me dit que ma place n’est pas là, mais bien à soigner les malades.

« Jamais dire non! »

Ensuite, pour continuer, il fallait avoir un diplôme. J’ai été de la première cohorte formée d’infirmières auxiliaires. J’étais au service des malades et je me souviens encore de presque chaque soin que j’ai donné à chaque patient. C’était mes meilleures années.

Mais dans la vingtaine, une femme qui rencontre un homme, ça arrête de travailler.

« Jamais dire non! »

Il s’est endormi sur mon épaule. C’était un camionneur comme son père qui buvait en plus d’être camionneur.

« Jamais dire non! »

Une femme doit suivre son mari. On est allé habiter une maison à Desboues, ben loin, à côté du moulin à scie plus loin que Berry. J’ai été la repriseuse de linge de la place et celle qui faisait le lavage pour la fin de semaine des gars. Il ne le demandait pas aux autres femmes, parce que moi, je ne disais jamais non !

On a commencé rapidement à avoir des enfants.

« Jamais dire non! »

Mon mari a développé le même penchant que son père pour la boisson. En plus, y partait avant que les enfants se lèvent pis y revenait toujours après qu’ils étaient couchés.

« Jamais dire non! »

Mon mari s’est mis à changer de job tellement souvent entre l’Abitibi et les régions de par en bas, qu’une bonne fois j’étais étourdie, on avait déménagés quatre fois en 18 mois. Les enfants n’osaient pu se faire des amis sérieusement, ils savaient qu’ils allaient déménager. J’aidais tellement de monde un peu partout en ayant eu à apprendre par moi-même que je n’ai jamais eu seulement que ma maison à m’occuper. Il y avait toujours quelque chose de plus.

« Jamais dire non! »

En 1966, avec 6 enfants sur les bras qui vont dans 6 écoles différentes à Amos, mon mari voulait qu’on en fasse d’autres puis qu’on déménage encore.

« J’AI DIT NON! »

Là, ça fera! Ici, on est bien dans cette maison-ci à Amos. Si tu veux encore déménager, ça va être sans moi! Oui, j’ai dit NON. Je l’ai fait.

Pour les enfants de plus qu’il voulait avoir, sans lui dire, je me suis fait prescrire la pilule. Ça venait d’être inventé cette année-là.

« Je lui ai dit NON encore. »

Depuis deux ans, les femmes étaient maintenant considérées comme des personnes à part entière au sens de la loi. Il n’a pas redéménagé. On s’est arrêté à 6 beaux enfants pis la maison de 1966, c’est celle-ci, Je suis encore dedans.

On a été plus heureux ensuite.

Moi, même si j’ai toujours continué à donner un coup de main important à ma vieille voisine d’à côté, à recevoir les petits-enfants à diner durant la semaine, en leur faisant du pudding chômeur autant qu’ils en voulaient, à m’impliquer dans les Filles d’Isabelle, je le faisais en sachant que…

« c’est à moi, en tant que personne, que je ne dois jamais dire non. »