Jeanne Fournier Migneault, 95 ans

Rouyn-Noranda (Mont-Brun)

Quand on parle, les expressions qu’on emploie ne sont jamais futiles. Elles parlent à notre place d’une voix très ancienne qui contient les secrets épiques des premiers à les avoir dites. Elles permettent de dire plus avec moins de salive, parce qu’elles frappent. Elles font image. Des images qui valent 1000 mots. Elles contiennent souvent un double sens et parfois avec le temps et les générations qui passent, elles prennent une tournure autre que celle du départ. Elles sont parfois si savoureuses à dire qu’il nous reste un goût en bouche lorsque je les prononce. Avec la pétillante Jeanne Fournier-Migneault de 95 ans, les saveurs les plus folles nous viennent sur la langue. C’est même une cuisinière hors pair qui sait nous mélanger des mots sucrés-salés en véritable party pour les papilles gustatives. Voyons ce qu’elle a pour nous :

« À Notre-Dame-du-Rosaire de Montmagny, où je suis né, les bébés venaient dru. Comme j’étais la première de 14 enfants, on a charrié la Catherine aller-retour. Ah oui! »

Vous ne trouvez pas que ça goûte le petit canard à la patte cassée, ces expressions-là? Ça apporte des effluves qu’on ne voudrait pas sentir trop longtemps, mais avouez que ça fait plaisir quand même.

« Dans la maison que mes parents s’étaient logée, on a mangé ben du Créquoui! Y nous arrivait du monde pour souper même si on était pauvre comme job, pis ils demandaient s’il y avait de quoi à manger, toujours ben. Ma mère répondait : “Je cré que oui”! »

Humm….. Ça goûte ce que certains appellent du touski. On mélange « tout ce qui » reste dans les armoires pis ça goûtera ben ce que ça goûtera. Dans le cas de Jeanne, le «Créquoui» goûtait souvent le baloney et la sauce tomate. J’ajouterais que « se loger une maison » est une expression typique du Bas-Saint-Laurent et qu’ainsi, lorsque je la dis, elle se révèle d’un goût salé des herbes du bas du fleuve.

« En arrivant à Mont-Brun en 1941, on étaient parents avec une talle de Mercier. On a ben vu que Mont-Brun, c’était un village qui voulait. Dans ce temps-là, on a fait ce qu’il fallait. On se ferme la yeule pis on fonce dans nos journées. »

Je suis bien malaisée de vous parler de ce que goûte « une talle de Mercier » lorsqu’on en parle… mais je trouve d’un habile mélange sucré-salé les expressions où on parle d’un village, où le mot « vouloir » est un verbe d’action, en plus de « foncer dans une journée », qui est très vitaminé. Que se passerait-il si, en fonçant dedans, la journée se tassait?

« Quand la noirceur pognait, ben des fois on faisait de la musique pis on aimait ça. Je faisais jouer du peigne avec de la gazette même si dans certaines fins de veillée, le diable prenait. Après une couple de tours pendables, on se demandait bien c’est qui le gibier de potence qui a fait ça?»

Quand la noirceur pogne, pensez-vous qu’elle peut serrer trop fort? Et que dire du diable qui prend? Ça goûte le vieux gin et la bagosse rien qu’à prononcer ces mots.

« Ça a ben changé depuis notre temps. Les jeunes c’est pu des grenouilles de bénitiers. Avant, on attendait de se marier avant de faire des enfants, tandis qu’asteure, ils connaissent le tabac, les petits juifs. Les miens ont gagné leur char jeune, pis avec toutes les études qu’ils ont faites, aujourd’hui, y en a des quelqu’un. »

Une saveur surette pince les joues et fait sourire avant que le goût de fumée de tabac n’embarque par-dessus, bien que je vous laisse imaginer dans quelle sorte de pipe se prend ce tabac dont on parle ici.

Vous êtes tous des gens qui parlent et qui permettent de faire évoluer notre langue française, au fil des conversations. Plusieurs expressions recèlent des saveurs incroyables qu’il importe de remettre en circulation. C’est savoureux. Ça dit tout. C’est plein de sens caché qu’on trouvera à rebours. Ça fait de Jeanne Fournier-Migneault une chef cuisinière sans pareil qui colporte le passé et le présent d’une nation sur le bout de sa langue dansante.