
Jean-Guy Dupuis et Louise Loiselle Dupuis
MacamicJean-Guy Dupuis connait les veillées de musique et de danse traditionnelle… il est tombé dedans quand il était petit! Il est né en temps de misère (les années 30) et il a grandi dans le contexte de la deuxième Guerre mondiale, mais les samedis soirs, on oubliait tout cela. On sort alors nos chansons à répondre par dizaines, nos instruments de musique et ceux qui en jouent (qu’ils soient dans la maison ou plus loin dans le voisinage). On sort une petite flasque d’alcool, on laisse courir les enfants et, souvent, on demande à un « calleur » de nous faire danser un set carré entre deux bonnes histoires et une pipée.
Puis vient la vie adulte et les temps modernes et les tracas du travail sur la ferme de vaches à lait. À vrai dire, être pris deux fois par jour pour faire la traite, c’est pas toujours reposant, et ça limite un peu la liberté, mais le samedi soir arrive et on se calle une veillée de danse! Les St-Amant vont être là avec leur maudites belles filles devenues grandes. Elles étaient belles, c’en était intimidant. « – Eille maman, chantez-nous donc la chanson des Zouaves à la guerre! – Bon bon ok… Ah qu’on se sent bien pour repartir la semaine, hein papa? »
En 1968, on vend les vaches à lait et le quota et, en 1969, on achète 125 vaches à bœuf. Ne plus avoir besoin de faire la traite tous les jours, c’est déjà ça, mais sur une opportunité difficile à refuser, Jean-Guy achète les machines pour réparer des moteurs industriels comme job à faire « sur le side», dans une ancienne école de rang transportée directement dans leur cour arrière. Il ne connait pas cela à moitié et il doit apprendre « sur le tas ». Travailler tout seul sur deux jobs pour se ramasser « clearé de dettes » mais occupé de jour comme de nuit avec 5 enfants à élever, ce n’est pas de tout repos. Mais le samedi soir arrive avec une veillée fameuse. « Y parait que Ti-Ness Delage pis les trois frères Tessier vont être là, pour faire swigner tout le monde. C’est-ti pas beau ça? J’ai encore appris d’autres chansons à répondre pis j’ai mes meilleurs souliers pour danser. Mautadis… on a de la misère à te voir toi-là, tellement ta pipe boucane! On n’a ti du fun encore pour repartir la semaine du bon pied? »
En 1973, on a encore 67 vaches, pis un employé du chemin de fer qui passe en arrière a négligé de fermer correctement la clôture de l’enclos. Résultat: toutes les vaches sont sorties, pis elles marchent sur la track en direction de La Sarre depuis des heures. Déjà en plein surmenage, on court les retrouver jusque chez Normick-Perron (l’usine de bois) et on les rapatrie presque toutes, pis, à quelques kilomètres de l’enclos, le train du CN passe en nous lançant un catastrophique coup de klaxon qui fait fuir les bêtes dans le bois.
Heureusement, elles ont reconnu rapidement que leur chez eux était proche, et elles sont entrées d’elles-mêmes dans l’enclos… qu’on a fermé enfin. Mais le samedi suivant, la veillée s’annonce avec le fier Jean-Baptiste Gauthier comme calleur. « Un homme qui a un haut-parleur dans l’estomac et qui call avec plaisir pour faire danser les 60 invités dans une pièce grande comme ma main, ça rengaillardit son homme, comme on dit! Quand les enfants vont être couchés, il va caller avec des “swing sur la pin, pis r’lance par la gance” pour ménager les oreilles chastes. J’ai aussi des chansons grivoises quand j’aurai fini de vous conter que j’ai vu une femme cette semaine qui avait une jupe pis un bon gros postérieur. Sa jupe était faite en poche de farine, pis quand elle se penchait par en avant, on voyait sortir l’étiquette “enrichi de vitamines” qui dépassait. Hahaha!!! »
En 1974, on garde 25 vaches seulement parce qu’on dépérit en travaillant trop. Puis, on décide de vendre ces dernières vaches-là, en attendant plus de 6 mois pour avoir notre prix. Le stress se fait sentir à chaque mois un peu plus: on a besoin de cet argent-là. On finit par faire une bonne affaire et à se départir des bêtes qu’on a pourtant tellement aimées; mais il le faut. « Ce samedi-là, les Dupuis giguaient comme des marionnettes en début de soirée pour se libérer du poids qui leur restait sur les épaules, puis quand le gars de la guitare hawaïenne faisait pleurer sa guitare, moi je pleurais par en dedans, avant d’entamer une complainte ben belle pis ben triste. À la fin de la soirée, on se sentait mieux ».
« En 1975, on s’est pris un employé efficace pis volontaire qui est resté chez nous en pension. Avec un employé, c’est la meilleure situation qu’on pouvait espérer. Tout est revenu dans l’ordre jusqu’à la retraite en 1994. Comment on a tenu alors qu’on n’aurait pas donné cher de notre peau? Ben c’est que nos veillées de danse du samedi soir: c’était sacré! »
Pendant que certains vont encore se poser la question « ça sert-tu vraiment à quelque chose, les arts et la culture? », il serait possible de leur répondre que ça ne sert pas juste à faire beau dans un coin du salon ! Ce n’est pas non plus seulement utile à faire vivre une petite poignée d’artistes tourmentés et pauvres. L’histoire de Jean-Guy et de sa femme Louise en est l’exemple parfait. De plus, Jean-Guy est maintenant détenteur d’un rare patrimoine de chansons oubliées qu’il reste à sauver et Louise a donné des cours de danse pour des dizaines de personnes en Abitibi. Une soirée culturelle récurrente, ça peut être une planche de salut, une échappatoire, un exutoire, un stimulant, un beau retour dans le temps pour tirer le passé vers le présent.





