
Jean-Claude Tondreau et Lise Boudreau
Rouyn-NorandaLa mère de Lise « n’était pas du monde. » Le chantage émotif pour la garder collée sur elle, le fouinage dans ses affaires: tout y passait. Quand Lise en a eu assez de vivre au-dessus de chez sa mère, elle habitait avec son beau Jean-Claude, fraîchement mariés qu’ils étaient. Là, la tension avait fini de monter: voler de leurs propres ailes était la priorité ultime:
« – On peut se faire construire une maison neuve à Place Tourigny (en 1971, elle était en plein développement), mais, maudite affaire, sur le 16 800$ que ça coûte, on a pas une cenne de côté en mise de fonds. As-tu une idée Jean-Claude?
– Ben oui… c’est forçant pis pas mal de trouble, mais le vieux Club Charlebois en face du Ultramar qui vient d’être fermé par le curé Pelletier parce que c’était un bordel, ben y est à vendre pour une bouchée de pain. On aurait 1 an pour travailler dessus à le démolir complètement pis on ferait peut-être 1000$ en vendant les matériaux. On pourrait prendre ce montant-là comme « cash down », pis comme gars qui a déjà fait du démontage de shaft de mines, je saurais comment faire. Qu’est-ce que t’en penses, ma femme?
– Enwèyes fort! C’est un moyen comme un autre de se faire de l’argent. On est capable. Tu le sais que je t’aime, hein? »
Ce genre de projet est toujours plus compliqué que ce dont on rêve au début. Presque tous les soirs et fins de semaine y sont passés: le poids des deux pour défaire la broche à poule prise dans le stucco des plafonds. Et on embauche aussi des cousins dont un qui a défoncé un plancher pour se retrouver assis sur une toilette. Quand on s’attaque à la scène à déconstruire, on se rend compte qu’elle comporte trois épaisseurs de plancher, pour que les shows spéciaux puissent se faire, comme celui de Roy Rogers avec les prouesses de son cheval intelligent. Sans doute que Lise et Jean-Claude ont dû motiver leur coup de masse dans les murs, avec leur hâte de voir la mère s’éloigner au plus vite de l’ingérence dans leur vie. Il y avait du luxe partout sur les murs et dans le vieux mobilier. Et puis c’est sans parler de la récupération du bois et de la vente des objets de valeur: les frigos à bière et à viande du restaurant, les lavabos. Tout défaire que je vous dit, tout! Au bout d’un an, les seules choses restantes (et qui étaient irrécupérables) étaient du vieux bois défait, ramassé en un tas, et un bout magané du sous-sol. Et comme il faut que le terrain soit vierge une fois fini, on prend les infos des pompiers :
« – Est-ce qu’il est possible de faire brûler tout ça sans frais et avec votre OK?
– Oui, c’est possible si c’est après trois jours de pluie, qu’il n’y a pas de vent, que c’est en plein jour, que vous le surveillez jusqu’à ce qu’il n’y ait pu du tout de fumée nulle part. Pis à ce moment-là, si on ne reçoit pas de call de feu, ça ne coûte rien. Sinon c’est 500$ d’amende.
– Ichh ! 500$ c’est la moitié de notre montant gagné… c’est correct, mais on a intérêt à surveiller de proche.»
À un moment donné, après trois jours de pluie, à 6h30 du matin, par une journée sans vent, Jean-Claude met un peu d’essence au fond de la cave, et le feu démarre dans le stress général de notre beau couple fatigué mais envieux d’avoir leur maison bien à eux, loin de la mère de Lise. La flambée est instantanée, le feu monte jusqu’à 400 pieds dans les airs. Ça gronde en fou. Lise et Jean-Claude brûlent des sourcils. La ville entière vient voir le feu qui donne directement sur la rue Larivière. Les pompiers arrivent… mais c’était juste pour s’assurer que tout soit sous contrôle. Le couple se relaie pour aller manger et dormir, parce qu’au bout de 12 heures, il restait encore des tisons partout. L’aventure du feu a duré 2 jours complets avant qu’un bulldozer vienne remblayer les restes calcinés, puis remplir les fondations de voyages de sable. Résultat : aucun regret; deux personnes plus musclées et aussi amoureuses qu’avant, 1000$ en poche qui servit effectivement de cash down pour acheter leur nouvelle maison à Place Tourigny (leur maison qui vaut aujourd’hui plus de 300000$) … sans la mère dans les pattes. De l’argent, il y en a toujours à des endroits surprenants. Quand la motivation est vraiment grande et profonde, les sacrifices valent la peine. L’amour déplace des montagnes… ou déconstruit des bâtiments.





