
Jacques Marchand, 71 ans
Rouyn-NorandaJacques, je sais comme toi lire un public derrière un rideau de scène. Pauline Julien te le disait : « On va changer l’ordre des chansons pour commencer, je sens que le public dort ce soir. On va les réveiller ».
Toi, moi, Jacques Brel et le grand Paul Loyonnet, on sait très bien qu’un artiste, c’est quelqu’un qui a mal aux autres.
Je t’ai compris quand tu m’as dit que tu avais peur du regard des autres, lorsque tu as touché l’art. Un homme, un vrai, est-ce que ça peut jouer du piano et aimer la musique classique, en ne passant pas pour un «moumoune» ? Oui. Tu l’as appris en côtoyant Henri Brassard et, sans t’en douter, tu es un exemple en cela, jour après jour pour les garçons d’ici.
On sait lire la crainte des parents face à un choix de carrière qui ne fait pas souvent « vivre son homme ».
On sait lire la fierté décuplée dans les yeux de nos parents lorsqu’on arrive à se tailler une vraie place dans le milieu culturel.
Toi et moi, on sait qu’on n’a pas besoin de beaucoup sur la table pour un souper réussi en bonne compagnie. La clé est dans la bonne compagnie.
Je sais comme toi qu’il faut du temps pour diriger tout en parvenant à tenir en équilibre, entre les limites émotionnelles et l’exigence, lorsqu’il le faut. « Les notes, ce sont des humains qui les font. Ça change tout. »
Il faut le faire généreusement.
Toi et moi, on sait qu’en se faisant généraliste dans notre domaine, on gagne mieux notre vie en région et qu’en plus, on acquiert une meilleure connaissance en aval et en amont. Ça prend des décisions plus éclairées.
On sait qu’un bon filon, ça se creuse, et que de le creuser avec passion, ça donne de la force.
On sait reconnaître les grandes œuvres qui nous tirent vers le haut.
On sait quand les créateurs sont inspirés par le spirituel universel mystique qui dépasse les institutions religieuses des hommes. Que tout se tient. « Quand je respire, c’est l’univers qui respire. Quand j’aime, c’est l’univers qui aime. Quand j’ hais, c’est l’univers qui haïe ».
Mais, toi seul sais par où on doit passer pour créer un improbable Orchestre symphonique régional en Abitibi-Témiscamingue. Tous les hasards des moments mêlés au travail acharné. Une suite incroyable d’étapes pour constituer le chaînon manquant de la musique classique dans notre région (Harmonie scolaire, École de musique locale, Conservatoire régional, et… OSR). D’une promesse à Charles Migneault pour trouver 12 personnes afin de jouer une composition originale écrite par son défunt père Aimé Migneault (une légende dans la vente d’instrument et dans la stimulation des talents amateurs), jusqu’au rêve ensuite de se faire un orchestre symphonique régional. S’en suit les conseils éclairés d’un des rares à donner temps et argent pour t’aider : Guy Lemire. Vient ensuite une tournée de toute la région pour trouver des musiciens (50 personnes). Une grande rencontre pour commencer à la Polyvalente d’Iberville de Rouyn-Noranda où tu as demandé à tous de jouer « une gamme de do. » Devant les regards médusés… tu as donc demandé de faire simplement « la note do. » Tu as obtenu la note la plus cacophonique qu’il puisse exister, ce qu’on appelle un « cluster ». Sachant que tu devrais donc partir du fond du baril, avec des musiciens pleins de bonnes volontés, tu t’es attelé à la tâche et, 9 mois plus tard, l’OSR avec une structure organisationnelle fonctionnelle, se présentait pour faire 30 minutes de spectacle au Salon du livre à Rouyn-Noranda, au milieu des années 80. Le public nombreux était conquis d’avance. Porté par cette énergie folle de la foule en délire, au bout de 5 ans seulement, tu organises le Festival Mozart en travaillant comme un fou. La rotation des pratiques dans les principales villes de la région, les ententes de financement, l’organisation de fins de semaine intensives pour créer des liens solides entre les musiciens à « La Source » de Trécesson, les tournées annuelles et la création de l’ensemble Aiguebelle il y a 20 ans, les liens avec les écoles de musique et le conservatoire… tout y est dans ton bilan de vie. Il fallait le faire et… tu l’as fait.





