Jacqueline Belliard Marchand, 89 ans

St-Bruno-de-Guigues

Début vingtaine, Jacqueline fréquente depuis 2 ans le beau Côme Marchand de Guigues, qui se destine à la profession de vétérinaire, alors qu’il est en congé d’été de ses études à Ste-Hyacinthe. Les deux sont à un pique-nique d’entreprise de la Coopérative d’électricité où Jacqueline travaille. C’est au lac Prévost de Nédélec que se passe l’événement. Comme il fait chaud, certains s’éloignent vers le large en se baignant, sourire au visage. Tout à coup, Jacqueline se retourne avec Côme, dérangé par les cris au loin. Deux jeunes hommes sont en train de se noyer! Côme ne fait ni une ni deux et plonge pour les sauver sous le regard de sa douce, tendue comme une corde de violon. En arrivant, les gars en détresse s’agrippent à son corps et le tirent vers le fond pour mieux respirer en surface. Après quelques secondes, Côme a peine à prendre son air et comprend vite qu’il va mourir si rien ne change. Jacqueline, que l’amour fait trépigner, ne voit presque plus la tête de son amoureux sortir de l’eau. Elle s’élance alors à sa rescousse, bonne nageuse qu’elle est. En arrivant près de la scène, Côme parvenait presque à se défaire des mains des gars en passe de se noyer, mais ses forces s’amenuisaient au point de sombrer d’une seconde à l’autre. Le désespoir de ne pas sauver des corps innocents qui meurent en panique à quelques mètres, mélangé au désespoir de se voir mourir soi-même, est un amalgame d’émotions difficiles à décrire, mais surtout déchirant à vivre.

Toujours est-il que c’est exactement à ce moment que Jacqueline est arrivée pour soulever le corps faible de son homme et le sauver d’une mort certaine. Arrivant au bord, ils n’ont peut-être pas sauvé tout le monde, mais au moins Côme fut rescapé. On a tous vu alors les marques des mains et des ongles imprimés en rouge sur le ventre et les jambes de Côme comme si le récit tragique se lisait sur son corps meurtri. Tous les gens sur la plage se sont entendus pour dire qu’il devenait impossible pour Côme de ne pas marier sa douce après la preuve d’amour ultime qu’elle venait de lui offrir. Deux ans plus tard, c’était chose faite. Et c’est après les études de Côme que les deux ont ouvert un bureau de vétérinaire directement dans leur maison où Jacqueline répondait au téléphone pour orienter son mari vers les urgences du moment. Il s’est lancé à la rescousse de centaines de bêtes à travers tout le Témiscamingue, jusqu’aux limites de Rouyn-Noranda. Une vache à qui il devait replacer l’utérus sorti après un vêlage, refiler du calcium en intraveineuse à des vaches aux prises avec la fièvre du lait, castrer des étalons à froid en évitant les ruades par quelques centimètres, scier une patte de veau avant une mise à bas périlleuse. Rien n’était à l’épreuve de Côme et Jacqueline (en appui par conseils téléphoniques), qui parvenaient parfois à faire des miracles pour sauver des vies animales. Ils ont peut-être échappé quelques vies humaines jadis, c’est vrai, mais ils ont prolongé la vie de combien de bêtes dans les 30 ans qui suivirent?