Imelda Robitaille Pomerleau, 90 ans

Palmarolle

1928. Oui, c’est en 1928 qu’elle naît, la belle Imelda Robitaille. C’te pauvre… première fille d’une grosse famille de gars. C’est comme dans une plate-bande: pour bien faire pousser les fleurs rares, il faut sarcler et dégager ce qui est autour. C’est comme ça qu’Ovide disait à ses gars : « Laissez ma fille tranquille, allez plus loin. » Le courant électrique du barrage La Sarre Power 1 du rang de la Calamité n’était pas encore rendu à Dupuy et la Crise économique ne semblait pas faire trop de ravages, du moins aux dires d’Imelda qui récoltait les patates et les autres semences données par le gouvernement pour que les petites fermes familiales comme la leur aient de quoi manger en ces temps de misère. Il y avait tellement de belles longues patates rouges qui sortaient du champ à la fin de l’été, qu’Imelda en faisait des cordes de patates empilées… sous le regard impressionné de son père. Cette jeune femme a donc poussé normalement avec un intérêt pour le travail manuel, en terrain nordique, avec des images en tête de son ancienne école de rang, le goût sur la langue de l’extraordinaire sirop d’érable familial de Saint-Léonard de Portneuf qu’elle mangeait en cachette, l’odeur si particulière de la tarte au vinaigre (genre de tarte au sucre aigre-douce) et à l’oreille, le son trop fort du moteur de la snowmobile du Dr Balthazar qui passait à l’épouvante pour secourir des gens malades en hiver dans les rangs 8 et 9.

En fait, la fine fleur de la grande famille Robitaille avait deux atouts non négligeables pour ajouter à sa beauté naturelle de jeune femme : ses cheveux foncés et ondulés dans lesquelles bien des hommes auraient voulu plonger leur main. Pour sa part, son deuxième atout… venait la protéger : c’était une jeune femme indépendante et autonome. Elle voyait les hommes faire la file pour elle :

« – Imelda, c’est beau pis c’est grand la construction de l’église de Dupuy hein? Eille, tu m’as dit l’autre jour que tu voulais aller à la veillée demain, ben moi aussi. Est-ce qu’on pourrait y aller ensemble?

– Je t’ai dit hier que je vais y aller toute seule. Pis en plus, je m’occupe de ma mère. Ce n’est pas la peine, as-tu compris? »

Ça a le mérite d’être clair!

Ajoutons, sur la surenchère des jeunes hommes à son égard, l’anecdote suivante : son père Ovide, entre deux séjours de bûchage dans les chantiers, a déniché pour son indépendante fille très intéressée par le travail manuel, un métier à tisser dans une maison voisine abandonnée. Un petit métier pas très large, mais à 16 ans, elle a mis son talent à exécution : en repliant le tissu, elle s’est confectionné une couverture en laine deux fois large comme le métier.

Cela demandait beaucoup de précision dans les pédales et elle est parvenu non seulement à faire une très belle couverte, mais elle est allée au Cercle des fermières du village pour l’apporter au concours annuel. Elle n’emporta rien de moins que le premier prix et une qualification pour le concours régional. Au régional, roulement de tambour… 1er prix et un laissez-passer pour la grande finale provinciale à Québec. Elle a eu droit encore aux grands honneurs devant des centaines de personnes de partout en cette année 1947 alors qu’elle n’avait que 16 ans. Les juges impressionnés ont fait mention de la constance dans le tissage des brins de laine et du niveau de difficulté pour une jeune de 16 ans! La photo prise lors de l’événement est immortalisée dans une livre d’histoire publiée récemment. On imagine que n’importe quel jeune homme rêvant de fonder une famille avec une belle femme débrouillarde souhaitait avoir sa main.

Dans la trâlée d’hommes intéressés, elle est finalement parvenue à trouver le bon : Adrien Pomerleau de Palmarolle. Ah, il avait ce petit quelque chose de spécial que même Imelda ne parvient pas à nommer précisément. En tout cas, comme on disait… c’était un bon parti. Après 6 mois de fréquentations, la demande en fiançailles en bonne et due forme à Noël après la messe de Minuit… elle a dit oui! Fiou! Ils se sont mariés au sous-sol de l’église de Dupuy (l’église actuelle n’était pas encore terminée) et ils sont restés à loyer avant d’avoir une grande chance avec le beau-père qui avait un terrain voisin disponible pour eux dans le rang 4 de Palmarolle. Palmarolle a fait une sapristie de belle acquisition, là ! Le premier prix provincial des Fermières, une femme qui sait quoi faire de ses mains, en âge de procréer comme on disait, pis qui a des bonnes valeurs. De plus, elle marie le spécialiste régional du « grader ». Ça nous permet de le garder dans le coin lui-là. Sur leur terre à Palmarolle, une petite ferme avec une vache à traire, un bœuf, des veaux bien tendres pour en manger un par année, un potager exceptionnel sur de la terre en gombo (il faut mentionner ici que Imelda savait très bien que quand on interdit de manger quelque chose… ça goûte toujours meilleur!)  Elle a donc planté des rangées supplémentaires de carottes et de petits navets blancs au fond du champ en espérant se les faire voler par ses enfants. Ça a fonctionné. À l’automne, il ne restait que 3 ou 4 carottes… pis des enfants en santé.

Je vous mentirais toutefois si je vous disais qu’il n’y avait que des avantages à avoir beaucoup de terre glaiseuse dans le rang 4. C’est à cause des vibrations ressenties dans la maison quand des camions passaient (transmises trop facilement par la glaise) que la cheminée a cassé et qu’un tison un bon jour s’est frayé un chemin au travers de la brique pour faire flamber bientôt la maison au complet. Les assurances étaient maigres, mais la solidarité paroissiale était grande. L’indépendante Imelda qui avait alors 6 enfants avec son cher mari Adrien a dû recevoir de l’aide et ce fut le coup de main le plus marquant de sa vie. Ils ont perdu leur maison, mais… de son propre aveu, l’année qui a suivi fut sans doute la meilleure de sa vie. Elle a pu laisser libre cours à ses talents naturels de travailleuse manuelle. Faire une maison était emballant, mais la faire plus loin du chemin pour éviter les trop grandes vibrations du sol, permettant de faire une grande allée fleurie, était un grand plaisir pour elle. La famille fut bientôt complète et les choses semblaient bien tourner. D’une certaine manière, elle a pu donner au suivant en rendant service à son tour à une voisine éprouvée par la mort de son mari dans le rang 4. Ces années charnières ont fait en sorte que l’indépendante qu’elle était avait aussi besoin des autres pour s’épanouir et qu’il lui fallait également donner support à d’autres. L’esprit d’indépendance peut être une belle qualité, à condition de savoir en sortir, parfois.