
Huguette Roy, 73 ans
Val-d'OrLe père d’Huguette aimait sa douce comme un fou. Plus fou encore, c’était la guerre qui sévissait en Europe et qui drainait toutes les forces des jeunes hommes célibataires, volontaires ou non à partir de 1942, jusqu’à ce que la guerre se gagne. Les morts se font légion et les désertions se comptaient par centaines de milliers. Pour forcer la note, une police militaire sillonnait les villes et les campagnes supportée par des informateurs locaux souvent clandestins, mais bien payées, pour dénoncer les déserteurs et les traduire en justice. Le père d’Huguette évitait jusque-là de se faire prendre en Abitibi, mais comme la coutume le veut, on se marie catholique dans la paroisse de la mariée, dans ce cas-ci : St-Charles de Bellechasse, rive sud de Québec. La veille du mariage, les bans sont publiés et hop ! on cogne à la porte. La police militaire vient prendre de force le futur marié. Sourcils inquiets, supplications. Départ déchirant, peut-être pour ne revenir que les pieds devant. Les mains humides de larmes salées, la belle plonge dans une peine inconsolable. Son père, au bout de quelques heures, décide de tenter quelque chose. L’embarquement doit se faire de Valcartier, en haut de Québec vers l’Europe, dans quelques heures. Il y va tout de go, attend sur le bord du grillage pour voir défiler en rangées trop parfaites les militaires et les déserteurs, la gueule en berne, maintenant habillés en vert kaki. Il aperçoit furtivement son gendre dans la file. Pendant que les officiers sont occupés au dénombrement, il s’approche de la rangée d’hommes avec un air sobre et assuré comme si être là allait de soi. Son gendre le repérant du regard, il lui dit : « Viens-t’en ici, pis ça presse. » Les deux ont regagné la voiture devant les autres déserteurs muets, mais heureux qu’au moins un des leurs s’en sorte… s’il s’en sort vraiment. De retour à St-Charles de Bellechasse, nerveux, mais plus que jamais amoureux, le couple, après une longue étreinte qui disait par les mains, par les bras, par la poitrine et par le baiser, pleins de « j’ai peur », « je te veux pour toujours », « ne t’éloigne plus jamais », « mieux vaut mourir que de te voir tué quelque part sur terre », célèbre leur mariage dès le lendemain matin. Le beau-père heureux de son coup espère que ce sera suffisant pour éviter le malheur d’un procès. Les tourtereaux consomment enfin leur mariage avec tout le plaisir que l’urgence du moment leur permet. Après trois jours sur place, le couple prend le train et la police militaire vérifie les papiers de tout le monde. On fait comme si de rien n’était et… la police ne se rend compte de rien, n’étant probablement pas encore avertie de la nouvelle liste de déserteurs à arrêter. En arrivant en Abitibi, le jeune marié se rend voir le curé pour obtenir sa dispense qu’il obtient d’autant plus facilement puisque sa douce femme lui annonce qu’elle est enceinte. Devenant non seulement mariés, mais surtout père de famille, on ne l’a plus jamais embêté jusqu’à la fin des hostilités et de sa vie. Exactement 9 mois et trois jours plus tard naissait fièrement Huguette avec une bette voulant dire : « N’oubliez pas de me remercier, c’est pas juste le beau-père qui vous a sauvé du pire. J’ai eu mon rôle à jouer! » Plus tard, Huguette s’est faite postière pour colporter d’autres bonnes nouvelles de ce genre.





