
Gilles Gendron, 72 ans
Rouyn-Noranda (anciennement La Sarre)Gilles Gendron était prédestiné à se tailler un avenir à la machette comme en pleine brousse, empêché par les obstacles nombreux. Il rêve tout jeune d’un bon emploi dans le domaine du travail social. Famille trop nombreuse pour éduquer tout le monde, il attend les désistements de ses frères pour monter au collège classique. Son père meurt des suites d’un accident de voiture et son frère perd l’usage de son bras, il est désigné pour être le bâton de vieillesse de sa mère qui a 7 enfants, mais il n’abandonne rien. Pour payer ses études, il accepte les moindres petits boulots à 0,10$ et gratte encore plus pour se payer une opération qui le rendra moins risible et plus désirable, puisqu’il a les yeux croches.
Des suites d’un manquement d’un foreman pendant que Gilles nettoie le fond des caissons des 40 grandes colonnes des couloirs de la Polyno, en pleine construction en 1965, une rod d’acier lui sectionne le petit doigt qui gît toujours dans le béton armé de la polyvalente, tandis que Gilles se soigne et passe à un autre travail. Il parvient à faire 9 ans de cours classique à Amos et juste avant de commencer sa toute dernière année, sa mère décide de s’approcher de sa famille, en déménageant à Québec et le supplie de venir avec elle. Laissant sa fréquentation et ses plans pour aller se faire snober par les jeunes riches du Collège des Jésuites, il termine avec succès son baccalauréat ès art. Et je vous épargne les mentions d’excellence qu’il a reçues, alors qu’il est en pleine intégration, qu’il travaille comme vendeur itinérant des produits Fuller et qu’il s’occupe des problèmes de location de chambres qui est le gagne-pain de sa mère.
Son objectif reste clair et sa machette est quelque peu émoussée, à force de buter des obstacles sur le chemin de son avenir professionnel. Il veut faire carrière dans le travail social et à l’été, il ne ratera pas le concours d’entrée sur le campus de l’Université Laval. Toutefois, au matin du 3 juillet 1968, jour du fameux examen d’entrée, il va chercher sa commande de produits Fuller qu’il déballe, son oncle retontit dans la maison pour une 5e fois à cause de son cancer agressif et c’est bien sûr encore à Gilles de s’en occuper, principalement et comme si ce n’était pas assez, il regarde l’horloge pour se rendre compte qu’il sera sans doute en retard pour l’examen qui va lui donner l’avenir tant espéré. Il saute dans un taxi, arrive en trombe en montant les marches du pavillon. À la porte, une matrone bête comme ses deux pieds refuse de le laisser entrer sous prétexte qu’il est retard de 5 minutes. Aucune possibilité de reprendre l’examen ou de s’insérer dans la classe même avec pénalité. Gilles qui fut fort en rhétorique s’essaie alors de toutes les manières en gesticulant, mais rien n’y fit. L’avenir est bloqué à double tour pour Gilles par un retard fatal de 5 petites minutes. C’est inconcevable pour lui de poiroter durant un an à ne rien faire en attendant. Il voit que la prochaine faculté pour laquelle les examens ne sont pas encore passés est celle du Droit.
Il s’inscrit alors à cette faculté, mais s’il réclamait ensuite un peu de tranquillité sur son parcours, il ne l’a pas eu. À cause de la première cohorte de cégépiens qui arrivait sur les bancs universitaires, en plus des finissants comme lui des collèges classiques, il y avait trois fois plus de monde pour tenter d’entrer et l’écrémage promettait d’être ravageur. Gilles a continué d’étudier comme un fou, de travailler par surcroît et il a terminé sans se faire tasser. Il décroche un stage chez un avocat de La Sarre et se place dans les 40% de finissants qui réussissent leur barreau. En travaillant à La Sarre au début avec Marcel Gagnon, il se fait vite accaparer par Serge Boisvert pour ouvrir le premier bureau d’Aide juridique de Rouyn-Noranda, tandis que deux autres s’ouvraient à Amos et Val-d’Or et que M. Gagnon commençait à manquer de travail pour lui. Il se déracine à nouveau pour s’implanter à Rouyn-Noranda où il espère une vie stable, afin de pouvoir marier sa douce et s’installer en famille. Il n’en est rien pour la tranquillité puisque tous les laissés-pour-compte juridiques qui s’étaient bricolés une justice bien personnelle depuis des années attendaient maintenant dans une file interminable pour pouvoir régler leur problème définitivement à peu de frais par un vrai avocat. Gilles assistait à une révolution et courait pour faire du droit en tous genres. Ses collègues et lui furent si appréciés qu’ils ont « pété les scores » les plus élevés en province, quant au pourcentage de gens les réclamant comme avocat (90%) au lieu d’un avocat en pratique privé. Il plaide des causes en série et doit aussi donner des conférences sur les lois au grand public, pour le renseigner sur ses droits. Le plus beau clin d’œil de la vie, c’est qu’à après avoir gagné ses galons et fait beaucoup de causes dites sociales, il fut nommé juge pour le Tribunal de la Jeunesse en 1984, puis juge pour les causes diverses dès 1988, jusqu’à la fin de sa carrière en 2009. Il a vu passer près de 10 000 personnes comme avocat ou juge. Sa réputation était celle d’un juge humain qui, se trouvant devant des jeunes fautifs au moment de lire la sentence, prenait le temps de parler longuement pour expliquer les faits retenus, ce que signifie le jugement et passer des messages clairs et marquants aux jeunes, pour qu’ils retrouvent le goût d’aller dans le droit chemin. Vous ne trouvez pas que ça ressemble un peu à du travail social ? C’est que Gilles a trouvé le moyen d’en faire, mais avec un impact encore plus grand sur la société en passant par le Droit. Sur son passé, Gilles s’est repris 5 minutes tapant. Par toutes ses années de travail social par le Droit, il peut maintenant dire qu’il est arrivé juste à l’heure à son examen du 3 juillet 1968. Quand l’avenir est bloqué, il faut savoir passer par la porte d’à côté.
En terminant, à notre mort, au fameux Jugement dernier dont tout le monde parle, on nous raconte que Saint-Pierre nous attend au bout du tunnel de Lumière pour départager si nous méritons le Paradis ou non. Eh bien moi, quand je vais mourir, j’aimerais troquer au ciel le jugement de Saint-Pierre pour celui du juge Gendron. J’oserais même demander une prolongation pour qu’il reste en poste par intérim et ainsi passer tout le monde de la région.





