Gilbert L’Écuyer, 70 ans

Val-d'Or

Voix très basse. Corps qui bouge peu. Grands yeux bleus. Sur une foule de 100 personnes, ce n’est pas celui qui attire l’attention en premier. Toutefois, il faut dépasser la façade. Gilbert a été pompier pendant 16 ans. Dans un brasier digne de l’enfer sur Terre, il a assisté à des dizaines de fins de vie tragiques et il a sauvé certaines personnes d’une mort imminente. Il a sorti deux enfants de leur maison en flamme, aidés de leurs parents que les nerfs endurcis par l’instinct de survie rendaient puissants à la veille de Noël. Deux gars morts d’une explosion de fournaise avec leur linge fondu sur le dos. Deux personnes sur le bord du châssis de leur chambre qui ont monté sur un caisson, presqu’asphyxiés, juste avant de sortir par la fenêtre. Deux enfants avec leurs toutous dans les bras qui attendaient patiemment les pompiers, ne sachant pas l’ampleur du triste destin qui leur pendait sous le nez. Deux hommes, une femme et leur grand-mère morts en descendant l’escalier qui a cédé dans le feu, juste avant d’atteindre la porte de sortie. Gilbert a assisté impuissant à un feu de quincaillerie, et quand le brasier s’empare des peintures en aérosol, c’est le début des feux d’artifice, mais en moins réjouissant qu’à la Fête nationale du Québec.

Ça ne bat pas l’incendie des trois mégas bonbonnes industrielles de propane en périphérie de Val-d’Or où, suite à la crainte de voir le tout exploser pour emporter leur propre vie, un agent est venu leur taper sur l’épaule pour leur dire : « Partez d’icitte. On arrive. » Dans les secondes suivantes, un avion-citerne (CL-215) fonçait en kamikaze sur les bonbonnes et au dernier instant, est remonté en crachant d’un coup une inondation sur le feu. Soudainement, plus rien ne pressait. Gilbert a vu périr 8 personnes asphyxiées par la fumée dans la maison, par une nuit de -35 degrés Celsius. C’est sans compter ce qu’il a vécu pendant les années d’entretien de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Val-d’Or, comme par exemple des atterrissages forcés qui finissent dans le bois. Ce qu’il a vu dans la rue également: des prostitués, achetées aux 2/3 dans le coin de Québec, accotées à un parcomètre. À croire qu’en mettant 0,25 $ on aurait droit à un baiser en plus de 20 minutes de stationnement.

Gilbert est un « buffet à anecdotes » pour le moindre adolescent en recherche de « ben voyons donc! » ou de « c’est donc ben capoté!» Ah oui, mais je vous entends dire « sa femme elle… elle ne vaut pas les anecdotes de son mari? ». Détrompez-vous. Pendant qu’elle brassait la sauce pour le dîner de leurs petits-enfants, elle a mentionné, comme si c’était normal : « Y avait un dénommé Michel Champagne un jour qui a fait un vol à main armée chez Kresge. Au bout de 12 heures de discussion avec les spécialistes venus de Montréal pour négocier avec lui, ils lui ont tiré dessus. Rendu à l’hôpital, il perdait trop de sang. Étant donné que j’avais du sang B+ comme lui, j’ai été avec deux autres personnes pour donner expressément du sang pour le sauver. Ça a marché… » Elle qui a pourtant été une bonne influence sur Gilbert lorsqu’ils se sont connus, c’est ironiquement elle qui a le plus d’affinité avec un criminel! Pour le savoir, il faut juste poser la question, dépasser nos a priori et changer de bord de rue pour aller entreprendre une conversion avec lui et tous ceux qui sont des témoins inestimables de nos communautés. Vous voulez des détails? Ils sont tous là, à portée de main, sur un plateau d’argent. N’attendez pas que les bibliothèques humaines brûlent. Fouillez dans leurs rayons pour votre plus grand étonnement. Et méfiez-vous des apparences, elles sont parfois trompeuses. Gilbert n’est pas très démonstratif et pourtant, tout est au bout de la langue.