Gérard Vaillancourt et Yvonne Gagné, 84 ans

St-Bruno-de-Guigues (anciennement Roulier et Moffet)

« Un gros ours noir avait défoncé 28 camps de chasse dans un seul printemps. »

« Y a un ours noir qui est entré dans mon camp à 2h00 du matin, un 2 novembre. Il faisait très froid pis y ventait beaucoup. Il pleuvait en plus. Quand il est entré dans le camp, moi j’ai pensé que c’était un arbre qui était tombé sur le coin de la cabane. Ça m’a réveillé, moi j’étais dans mon lit. Tout d’un coup, tout ce qui était sur la table, ça tombait tout par terre. Là j’ai dit “Oh!  C’est pas le vent là.” L’ours y était déjà rentré dans l’été, pis moi je pensais qu’il serait pu là, tué par un chasseur d’orignal, parce qu’il avait défoncé 28 camps en quelques mois au printemps. Mais non, y était là. Quand je suis arrivé au ras la cuisine, l’ours y s’est levé debout! Mais y fait noir pis je vois pratiquement rien. Pensez qu’on est en novembre, qu’il mouillait, pis qu’à 2h00, on voit vraiment rien. Ma lampe de poche était sur la table. Il avait tout jeté par terre. Je reviens vers mon lit ben tranquillement. J’ai rien d’autre avec moi. Je suis en bobettes pis y fait froid. Pas loin en arrière, y a la porte pour la shed à bois. Rendu là, je me suis mis à penser à ça pis j’avais un peu de temps, parce que lui s’est mis à manger ce qui était tombé par terre dans la cuisine au travers de la vitre cassée.

Le soir d’avant, j’avais remarqué que j’avais une corde de bois qui penchait beaucoup pis j’avais apporté des outils pour la redresser pour éviter qu’elle ne tombe et qu’elle ne bloque la porte. Quand je l’ai travaillé, j’avais ma tranche à glace avec laquelle je me suis aidé. C’était comme une dent de requin, ça. Long de même, ben coupant pis ben pointu. Ça fait que je décide de prendre ça. Je prends l’étui. J’ôte le cran de sécurité dessus. Même s’il faisait noir, je le connaissais par cœur. Là je me suis demandé si je l’attendais là parce que toute ma viande était dans un frigo temporaire juste en face de moi et qu’il aimerait sûrement ça. Mais comme j’étais dans un petit carré de 6 pieds par 6 pieds, je me suis dit que j’avais pas vraiment de chances de me sauver. Je me suis dit que j’allais lui faire face. Je rentre dans la cuisine. J’essayais de voir comment il était placé. Il ne menait pas de train. Tout d’un coup, je l’entends manger par terre: il sapait. À force d’essayer de voir à la noirceur, ça vient qu’on finit par voir un peu, hein? Ça fait que selon la forme, j’imagine que le fessier est au coin de la table. Alors je prends ma tranche à glace, j’y lance un cri, pis je le darde. Oh sainte! Y a lâché un cri là, mon ami. J’ai jamais entendu une chose pareille de toute ma vie. D’ordinaire, je ne suis pas peureux, mais là… je suis venu les cheveux drettes sur la tête. Là, je ne savait plus s’il me chargeait ou s’il s’en allait! Je ne sais pas où je l’ai piqué. Tout d’un coup, je l’ai entendu passer par la porte, pis j’entends tomber ma tranche à glace par terre. Là, je savais que je l’avais punché comme il faut.

Je me suis levé pis comme je fumais dans ce temps-là, j’ai pris mon briquet dans ma paire de pantalons pour essayer de voir où était ma lampe de poche. Tout d’un coup, je la vois. Elle était en avant de la fournaise. Elle était trop loin, pis y avait de la vitre partout à terre parmi le jus de betterave. J’ai pris un moule au mur pour tirer ma lampe de poche vers moi. J’étais chanceux. Elle fonctionnait encore. Après, j’ai été correct. J’ai mis mes vieilles bottes de cuir pis j’ai pris ma carabine que j’ai gardée avec moi. Je me suis dit : “Toi, si tu r’viens, tu vas être mal reçu.” J’ai commencé à faire le ménage pour me rendre compte que la poignée de porte, ben il l’avait passé au travers de la porte. Ça a fendu le linteau en pin blanc jusqu’en haut. Mon ami, un ours, c’est fort. Faut le voir pour le croire.

Ça fait que là, mon poêle chauffe, mais je ne suis pas pour coucher la porte ouverte! J’ai cloué le linteau. J’ai pris de la broche pour attacher la porte, mis une crampe à clôture pis j’ai attaché ça ensemble. J’ai fait le ménage en départageant ce qui était bon de ce qui l’était pas. Le lendemain matin, je me suis dit que j’allais bien voir si je l’avais punché comme il faut, ce gros ours-là! J’ai vu les traces, parce que quand il est parti, il forçait tellement en sautant que ça déplaçait toutes les feuilles à terre: facile à suivre. Au bout de 500 pieds, il était couché dans le chemin. Raide mort. Y était beau en mautadit. Un beau mâle. J’ai dit : “Je m’en vais te pleumer.” J’ai pris mes outils pis de la corde. Je le vire sur le dos… maudit… y a pas de poil sur le côté droit! Ah ben le maudit, il a la gale en plus! C’était une maladie qu’il y avait sur les renards pis les loups. Une bebitte qui les piquait pis ça faisaient des vers en dessous de la peau, pis ils se grattaient tellement que tout le poil partait.  Habituellement, y en mourrait. Je pensais que c’était ça, mais tout d’un coup, j’ai pensé qu’il y avait probablement quelqu’un qui lui a payé la traite avec un “12”. Je regarde comme il faut. C’était ça. Y en serait pas mort, mais tout ce que j’ai trouvé à récupérer à cause de ça, c’était les griffes. » Gérard Vaillancourt a sauvé de gros tracas, pour une deuxième année consécutive, une trentaine de chasseurs, en plus de sauver ses fesses. À chaque tournant de son histoire, le mot COURAGE clignote en rouge vif, partout autour de lui. Gérard et Yvonne sont d’excellents conteurs et ne vont pas penser que c’est l’aventure la plus incroyable ou la plus forte de leur vie. Oh que non!

Yvonne a déjà rentré son mari malade à l’hôpital de Val-d’Or avec une carabine non enregistrée dans les mains. Ça vous intrigue? Allez leur poser la question…

Ils sont entrés des centaines de fois en Ontario vers Toronto avec plus de 10,000 peaux d’animaux, dont 8,500 peaux de castors de 2 livres chacune alors que la limite de poids sur les balances routières est fixée à 2,500 livres. Ils sont passés à chaque fois avec plus de 16,000 livres dans un cube sans se faire arrêter. Ça vous intrigue? Allez leur poser la question…

Ils ont connu les deux sœurs Wawati, autochtones de la Réserve faunique La Vérendrye, qui ont trouvé le moyen d’avoir leurs 4 mains prises dans un piège en métal. Elles sont parvenues quand même d’une manière surprenante à traverser la rivière en canot, pour se faire secourir quelques kilomètres plus loin. Ça vous intrigue? Allez leur poser la question…

Ils ont fait la pêche commerciale de l’esturgeon et du corégone pendant des dizaines d’années sur le lac Témiscamingue, soulevant 125 livres de cordage durant 2 heures à toutes les aurores. Tous les matins, sauf deux. Les deux jours où le monstre du lac Témiscamingue (un esturgeon gigantesque dont ils ont vu la queue), avait déchiré en lambeau leur filet de pêche. Ça vous intrigue? Allez leur poser la question…

Ils ont travaillé à la pêche commerciale à temps plein tout en étant sur leur ferme aussi à temps plein (avec plus de 40 vaches) et sur le métier de trappeur/chasseur à temps partiel, et tout cela en plus du métier d’acheteur de peaux pour plus de 90% du marché de la trappe de l’Abitibi-Témiscamingue. L’encan de Toronto les engageait… à temps plein. Et ils élevaient 6 filles en plus. Ça vous intrigue? Allez leur poser la question…

Ils sont restés droits et honnêtes en affaires durant toute leur vie, conscience en paix, en prétextant que « ce n’est pas toi qui fais ta publicité. C’est le bouche-à-oreille ». Ça vous intrigue? Allez leur poser la question……

Vous pensez qu’à la lecture de ces quelques pages d’aînés d’exception j’irais vous donner toutes les clés de compréhension de la vie d’avant, les secrets les plus savoureux de millions d’heures de vie sur terre sur un plateau d’argent? Il ne faudrait pas charrier! Ils ont tant sué au travail de l’aurore jusqu’au crépuscule. À vous de travailler maintenant, pour aller chercher réponse à vos questions et rattacher vous-même le fil des générations. Je ne suis qu’un entremetteur après tout.