Georgette Cloutier, 77 ans

Duhamel-Ouest (anciennement Laniel)

Début des années 70, Georgette et son mari sont propriétaires d’une pourvoirie sur l’immense lac Kipawa dans les environs de Laniel. Le 28 mai, c’est le début de la saison, et plusieurs de leurs cabines sont louées par des touristes américains. L’une des cabines contient 4 policiers étasuniens, le doigt sur le fusil et qui se décident à jouer à l’argent bien plus qu’à pêcher. Si bien qu’au bout de 4 jours, la tension monte après qu’un des policiers aie rincé les trois autres, les laissant sans le sou. Monsieur Beaudoin va les voir et les 4 fêtards se plaignent que le poisson est rare. Il leur dit sans hésiter qu’avec leurs occupations du moment, malgré toutes les démonstrations de pêche, aucun poisson ne sautera de par lui-même sur le quai, ni ne cognera à la porte pour se faire cuire. Les policiers insatisfaits de la réponse poursuivent leurs récriminations en se disant déçus qu’il n’y ait pas de « pitounes » pour eux alors qu’ils y en avaient pleins à Val-d’Or. Comme il n’a jamais été question d’avoir des « pitounes disponibles » dans leur pourvoirie et que la chicane éclatait de plus en plus souvent, Monsieur Beaudoin les a invité à quitter les lieux dans l’heure suivante. En vrai gentleman, Monsieur Beaudoin a su contrôler ses émotions et s’en retournait en direction de Laniel avec les fêtards pour les reconduire à leur camion et leur donner la main. Ces derniers, fusil à la main, n’ont pas voulu le toucher, prétextant qu’ils « ne voulaient pas se mettre la main dans la marde ». Puis, ils ont fini en disant qu’au retour, ils espéraient que monsieur Beaudoin se noie !

Après cette phrase troublante et avoir acheté des marchandises au dépanneur du coin, monsieur Beaudoin est reparti en bateau, et lorsqu’il fut à mi-chemin, aux environs de la baie McLaren, l’eau glacée à 52 degrés Fahrenheit a commencé à monter dramatiquement dans l’embarcation. Il semblait que les policiers, à la morale de criminels, avaient loussé le bouchon du fond du bateau, expressément pour le faire périr, tant leur rage de vengeance était grande. Trop loin de la côte pour y parvenir malgré de moteur neuf de 70 forces, Beaudoin se voyait condamné, ne sachant pas nager et voyant son bateau couler.

Par chance, le fabricant du bateau avait placé une mousse flottante à la pince du devant, mais cela n’empêchait pas le propriétaire de se mouiller. Tant bien que mal, il s’est rendu seul sur une petite île tandis qu’il pensait à ses enfants et à Georgette enceinte qu’ils laisseraient en condition difficile s’il se noyait. Rapidement l’hypothermie commençait à l’envahir et c’est à ce moment qu’il s’est mis à implorer le défunt et miraculeux curé Lachapelle de Béarn, de qui il avait toujours un morceau de soutane et une médaille de lui dans ses poches : « La foi, ça sauve. » Main dans la poche mais incapable de faire sortir un son de sa bouche, il a vu arriver le duo Béchamp/Trudel en bateau. Ils ont vu l’embarcation vide et ont craint le pire avant de tourner autour avec leur bateau. Levant les yeux, monsieur Beaudoin était là, lourdement affaibli. Ce qu’il y avait de plus près pour le secourir était une cabine occupée par d’autres Américains. Arrivés sur place, ils ont proposé une « ponce de fort », mais c’est un mythe de penser que cela réchauffe un hypothermique. Cela le fait seulement périr plus vite. Georgette, alertée, était arrivée peu avant et lui a donné un peu de boisson avant qu’un membre du groupe ne dise qu’il faudrait plutôt se coucher nu collé sur lui par devant puis par derrière, pour le réchauffer, dans les couvertes les plus chaudes possible. Alors avant qu’elle n’achève son mari sans le vouloir, elle l’a finalement rescapé. Mais ce qui a ébahi Georgette, c’est le comportement de son mari à trois heures du matin. Se sentant mieux, il s’est levé et, moyennement vêtu, il est allé à la hâte attacher le devant flottant du bateau avec le moteur neuf, pour qu’ils ne perdent pas leurs biens si durement acquis, afin que la pourvoirie continue de faire vivre la famille.

On a souvent parlé de l’ancienne pratique du « père qui devait pourvoir aux besoins matériels de sa famille», dans les temps de jadis. Voici donc ce qui arrive quand un homme porte ce poids sur ses épaules, jusque dans son inconscient. Georgette a heureusement poursuivi sa vie longtemps ensuite avec son « homme pourvoyeur » (dans les deux sens du terme). Pour ce qui est du défunt curé Lachapelle, Dieu seul sait s’il est réellement intervenu pour sauver son fidèle disciple, mais si on cherche des motifs pour tenter de béatifier ce cher curé, voici une péripétie de plus pour monter son dossier.