
Gaston Trudel et Lise Piette, 71 ans
Val-d'Or (anciennement Montbeillard)Gaston fut adopté, mais on ne lui a pas dit. Dans son village du comté de Champlain, il a grandi en s’imaginant tout un monde dans des boîtes de carton pour éviter de devenir fou. Ses riches parents adoptifs, fréquentant les notables les plus hauts placés, le contraignaient dans une bienséance extrême, jusque dans son alimentation. Vers 7-8 ans, il a commencé à développer une attirance naturelle pour une femme de l’autre bout du village. Le caractère sympathique de leurs rencontres souvent fortuites le charmait à tout coup. Lorsqu’il en a parlé à ses parents adoptifs, ces derniers ont subtilement commencé à vouloir l’éloigner. Cette femme était sa mère biologique et le jeune Gaston n’en savait rien. Poussé à la revoir quand même malgré l’interdit, il trouvait le moyen savoir le moment exact où elle passait prendre son courrier. Le lien de sang, c’est fort. Un bon jour, on lui a expliqué la vérité et il a négocié le droit d’aller la voir plus souvent au point où, lorsque ses parents adoptifs furent pris d’une maladie, c’est chez elle qu’il est allé habiter avec grand plaisir, en ayant le droit de se salir à sa guise en jouant, en plus de pouvoir manger abondamment, et cela même si sa nouvelle famille était plutôt pauvre. Lorsque ses parents adoptifs ont retrouvé une meilleure santé, ils sont passés pour le reprendre et Gaston a décliné l’offre. Il préférait se priver de l’argent de ses futures études de notable pour vivre, au présent, une jeunesse décomplexée auprès de celle qui l’a attiré, par pur instinct.
Beaucoup plus tard, c’est la grande nature qui l’interpellait davantage, et après une rencontre extraordinaire avec un ami autochtone qui l’a amené dans le bois, dépouillé de presque tout, il a développé une longue série de trucs fascinants pour vivre de la nature avec presque rien. Sa plus belle découverte est, sans l’ombre d’un doute, le goût très sucré et protéiné des grosses fourmis noires encore vivantes, dans des souches pourries. S’en priver, c’est comme de dire non à de beaux brownies encore chauds. C’est à cette époque qu’il a connu sa première femme, même s’ils avaient des intérêts relativement différents. Avec elle, il a eu une fille, mais un malheur est survenu. Lors de l’accouchement, une partie du placenta est resté incognito dans le ventre de sa femme et l’équipe médicale ne comprenait rien à sa nouvelle fièvre. L’isolant pour 2 mois loin de son mari et de sa fille le temps de résoudre le problème, la pauvre dame est retournée voir sa fille. Triste sort : leur fille s’était habituée uniquement à Gaston et s’est mise à repousser sa mère, se lançant dans une crise à chaque contact de sa part. La pauvre mère rejetée en a fait une dépression sévère qui s’est rapidement transformée en schizophrénie chronique. Chemin faisant, Gaston s’est fait dire par le médecin qui l ’auscultait pour son dos brisé qu’il ferait mieux de laisser sa femme, s’il ne voulait pas y passer lui-même pour cause d’épuisement. Après un an, c’est ce que fit Gaston, résigné.
Pour sa part, Lise a commencé son existence difficilement, mise à l’écart du monde par les hommes de sa vie, contrôlants, violents et manipulateurs. En effet, son père et son premier mari ont rapidement mal tourné, laissant libre cours à des réflexes cassants qui la diminuaient. Devoir obéir au doigt et à l’œil dans l’obligation d’accepter des gestes dégradants, faisait pratiquement partie de son quotidien. Le seul moment où c’était un peu moins pire dans son mariage, c’était en présence de leur fille. Un bon soir, après 32 ans de misère, c’est au moment où il lui a mis le couteau sur la gorge qu’elle a fait le geste plus libérateur de sa vie. L’assénant d’un coup de coude au ventre, elle partit se cacher aux toilettes avec le téléphone qui lui a servi à appeler la police. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, il était en tôle et elle sortait de son enfer. Comme leur fille était rendue grande, elle avait pris un métier et une maison à Montbeillard, près de Rouyn-Noranda, invitant sa mère à venir la rejoindre. Peu de temps après, c’est ce qu’elle fit et elle eut besoin des soins de l’organisme «Le Pont» pour les gens vivants des difficultés.
Elle habitait dans un appartement supervisé de Rouyn-Noranda lorsqu’est arrivé un homme doux, cultivé et attentionné : Gaston Trudel, le responsable de l’entretien. Durant ce temps, il avait suivi des cours en santé mentale à Rouyn-Noranda et travaillait à l’entretien, en plus de faire quelques interventions auprès des usagers. Elle attendait n’importe quel homme avec un couteau au bord de la porte, tant elle avait une confiance nulle envers la gente masculine, lui ne faisant pas exception. S’ils étaient deux aimants, leurs pôles négatifs en contact auraient provoqué une répulsion. Or, une curiosité s’est installée au fur et à mesure de leurs échanges d’abord secs, puis chaleureux sur plusieurs mois. Le couteau a fini par disparaitre dans l’armoire à outils de cuisine et leurs pôles magnétiques se sont retournés, laissant place à l’attraction.
Lui, avait développé un herbier dans ses expériences de vie, et elle aussi, puisqu’elle avait reçu ce savoir de sa mère, autochtone. Ils ont complété leurs savoirs en un seul. Lui avait un vif intérêt pour l’époque médiévale et ils ont décidé de se construire eux-mêmes un château médiéval en briques au bord du lac Opasatica à Montbeillard, afin de recevoir des groupes pour des repas thématiques. La vie était maintenant bonne pour les deux êtres pleinement vivants. À force de se raconter leurs déménagements successifs, une révélation leur est sautée au visage. Gaston a suivi Lise tout au long de sa vie dans le sud et le nord de la province. Les villages et les villes voyaient venir et repartir ces deux êtres que le destin souhaitait réunir, mais sans jamais parvenir à les faire se croiser. Ils sont passés bien près à plusieurs occasions, mais ce n’est qu’à ce moment tardif qu’ils se sont enfin trouvés. Mieux vaut tard que jamais. Aussi, au sein de leurs existences, ils sont passés de survivants à survivalistes. En effet, ils ont tout ce qu’il faut dans leur voiture, pour affronter une catastrophe et survivre durant 1 an complet, sans oublier l’herbier qu’ils possèdent comme un joyau. C’est sans compter les talents hors norme que possède Gaston, comme celui de lire la vie des gens dans les pierres. Bien des fois, il a présenté une série de roches à un groupe d’inconnus qui devaient tous en choisir une qu’ils aimaient, ce après quoi Gaston interprétait ce que vivent actuellement les détenteurs de ces pierres. Jamais il ne s’est trompé. Il est même arrivé à déjouer le plan de suicide secret d’un jeune homme et d’une femme, lors de ces démonstrations qui en ont surpris plus d’un. Il dit que les pierres contiennent une vie et qu’au travers des veines rocheuses on peut apprendre beaucoup de choses.
Les attractions naturelles que le destin envoie n’ont plus de secret pour eux par l’expérience d’un fils vers sa mère biologique, puis d’un couple qui se suit physiquement en existence parallèle, pendant plus de 40 ans avant de se trouver enfin. Ils ne se lâcheront plus jamais, même pour tout l’or du monde (au sens propre et figuré). Ils décodent les veines d’or dans les pierres.
Gaston et Lise : survivants; survivalistes; secoureurs. Ils sont le cauchemar de la mort; ennemis de la Grande Faucheuse, et ce, en toute confiance. D’avant-garde et en garde-fou.





