Gabriel Lalonde, 97 ans

Rouyn-Noranda (anciennement Béarn)

Quand Gabriel était enfant, il a eu la permission de faire le tour de l’école avec un jouet de son frère. Sans lui demander, un élève de sa classe lui vola pour aller faire un tour de l’école lui aussi. Rendu au point de départ, il est reparti. Au retour, Gabriel est parti à courir après lui avec un bâton pour ravoir son jouet, mais en frappant le jeune Blais, il l’a atteint à la tempe. Blais est tombé sur le coup. Le regard accusateur de dizaines de témoins lui disait « Tu es un assassin. » L’enfance fuit toujours par ce genre d’expérience traumatisante pour nous pousser hors de l’innocence. Les sueurs froides lui faisaient un gros effet… jusqu’à ce que le jeune Blais se relève finalement. OUF! Plus tard, un autre jeu qui tourna mal a vu Gabriel s’élancer sur un jeune beaucoup plus vieux que lui avec un bâton. Sa réputation de dur à cuire et de gars qu’on ne doit pas piquer au vif fut faite dès ce moment. On l’a surnommé Ti-pik.

Une douzaine d’années plus tard, alors que l’enfance s’était complètement évanouie en lui, le monde entier prenait un coup de vieux par les affres de la Deuxième Guerre mondiale. Des cheveux blancs se taillaient une place même sur les têtes les plus zen, et Gabriel avait 21 ans lorsqu’il fut mobilisé pour aller à la Guerre en Europe. Lorsqu’il était à Ostende (Belgique) en bord de mer du Nord, il a eu connaissance des Alliés qui se faisaient tirer par les Allemands alors qu’ils descendaient en parachute. Plus loin dans les terres, il s’est retrouvé, par temps de pluies torrentielles, en embuscade dans un fossé face à des ennemis.  Il fallait fuir. Son grand ami a reçu une balle qui a déchiré sa peau de l’épaule jusqu’aux fesses. En pareille situation, on sort en courant en zigzaguant pour éviter d’être une cible trop facile tout en allant se cacher plus loin. Décidément, Ti-pik a dû sortir son caractère de cours d’école, à la différence que les enjeux étaient plus graves. Il avait un tempérament plus défensif à l’école et cela lui servit, mais lorsqu’il fut responsable de transporter des prisonniers allemands et de les surveiller, il a vu les humains sans défense, innocents et affamés en eux. Tous les Allemands n’étaient pas des meurtriers sans remords. Il fit ce qu’il put pour leur faciliter la vie. Alors qu’il avait une occasion en or de regarder ces gens avec le regard qui voulaient dire « Tu es un meurtrier », il ne s’est pas servi de cette arme qui dépouille l’autre de sa dignité. Mieux encore, lorsqu’il fut responsable de lancer le mortier de 4 pouces (les petites bombes) avec une équipe de deux autres hommes, c’est lui qui recevait l’appel mentionnant vers quelle cible il devait tirer (à quel degré et quelle profondeur). Et, bien en sachant qu’il provoquait des morts instantanées d’un seul coup et par dizaines en une seule journée, il a parfois convenu avec son équipe de rater la cible volontairement pour briser des murs au lieu des humains derrière.

Un bon jour, alors qu’il était à Gand en Belgique, en train de déplacer des prisonniers, soudainement tous les citoyens sont sortis de chez eux en courant et en sautant de joie. L’Accord de paix venait d’être signé. La guerre n’était plus. Les citoyens de la ville libérée de Gand se sont rués sur les soldats y compris Gabriel, pour le porter dans les airs très haut en héros. Il représentait la liberté retrouvée de ces gens qui prenait maintenant confiance en des jours meilleurs. Pour Gabriel, la libération était intérieure surtout. Tous ces jeux d’enfants devenus trop vrais et atroces avaient servi de leçon. La mort évitée du jeune Blais n’avait pas de comparable en Europe, mais il a tout de même choisi délibérément d’épargner la vie de centaines d’Allemands qu’il avait à portée de canon.