François Gendron, 75 ans

La Sarre

Entre La Sarre et Dupuy, en face du lac Mance, où a grandi la famille, le facteur pouvait recevoir en arrière de la tête, des couvercles de cannes lancées en frisbee par le jeune François. Le tracteur de la ferme, suite à un «spinnage dessous» endiablé en ronds dans la cour, pouvait être cassé facilement à cause de l’espiègle François. Le cheval qu’il ne fallait absolument pas atteler, au dire de leur père Odilon, était attelé par l’hyperactif François, pour questionner l’interdit et assouvir une curiosité sans bornes. Il finissait par défoncer la grange et casser toute la wagin. Bien sûr, il fut puni, mais il reste que son tempérament se dessinait. Ce qu’il avait dans la tête, il ne l’avait pas dans les pieds.

À 16 ans, lorsque son père décède tragiquement d’un accident de voiture, François complète son automne de formation à Berthier dans une institution tenue par les Clercs St-Viateur. Il sait qu’il n’est pas bienvenu après les Fêtes, parce que les religieux ne voient pas en lui un futur religieux et que, bien qu’il soit extrêmement serviable, sociable et impliqué partout, il est dérangeant pour certains. Durant les Fêtes, il échafaude un plan avec un oncle fortuné pour lui demander de payer sa dernière session à Berthier, évitant ainsi de faire peser sur sa mère une pression financière qu’elle ne peut se permettre. Personne ne sait qu’il n’est pas supposé retourné à Berthier. Il retourne donc alors qu’on ne l’attend pas et les religieux, voulant le décourager de poursuivre, le confinent au nettoyage des toilettes, en plus de lui enlever toutes les prérogatives sociales qu’il avait précédemment. Il tient bon et il termine ses études à cet endroit avec d’excellents résultats. Si quelqu’un porte un front de bœuf, c’est bien François. C’est d’ailleurs sur le tas de fumier de la ferme qu’il est allé passer son été d’ensuite.

En revenant, il sait que la prochaine étape d’études lui est refusée parce qu’il habite « La Sarre campagne » et que contrairement à « La Sarre ville » qui s’est entendu avec les nouvelles Commissions scolaires et écoles normales pour leurs résidents, il ne peut pas entrer à l’école normale d’Amos. Non seulement il n’accepte pas que le directeur le refuse pour une raison aussi idiote, mais, doublée du fait qu’il s’y prend quelques semaines trop tard, il s’entend avec un vieil ami commerçant de La Sarre qui avait une voiture pour monter un beau dimanche faire le pied de gru dans le bureau du directeur, tant que ce dernier ne fléchirait pas. Peine perdue. Le dimanche suivant, il recommence et se dit qu’il le fera tant qu’il n’aura pas reçu une réponse positive. Le directeur plie finalement, mais il le met à l’essai et lui exige de finir l’année dans les meilleurs. Ayant le pied dans la porte, il s’organise en se débattant avec un horaire de fou pour surveiller le dortoir de soir afin de payer de facto ses études et ouvrir un petit commerce d’équipement de sport, pour se faire de l’argent de poche.

C’est sans oublier que, pour manger, il s’entend avec un restaurateur italien d’Amos pour faire venir chaque semaine un groupe de 20 étudiants au restaurant. Condition nécessaire pour que son repas soit gratuit. Tout cela pendant qu’il étudiait pour finir effectivement dans les premiers de sa classe et se mériter une place pour les années suivantes. Avoir plus d’instinct de négociateur et de cran que cela, et en plein deuil du paternel en plus, ça ne s’invente pas!

Pour ce qui est des réalisations épiques de ses fastes années pré-politiques, puis comme député, bien des choses pourraient être dites, mais d’autres pourront mieux que moi faire son pedigree. L’UGEQ, le travail de professeur, la création des coopératives funéraires en Abitibi, le leadership syndical et son travail à « Multimédias » comme animateur social ont fait en sorte que, neuf ans sont passés sans avoir un seul soir de libre. Vient ensuite avec sa conjointe le projet d’avoir des enfants, et cette idée de faire taire des gens qui lui tirent sur le pantalon pour qu’il se présente sous la bannière du Parti Québécois en 1976, en leur répondant qu’il fera amende honorable en augmentant le score des élections de 1973. La chose est claire : après la défaite, on doit le laisser tranquille pour qu’il agisse simplement en père présent après sa job de 8h à 16h. Bien entendu, il était capable de tout et les gens aimaient sa manière de penser et de discourir, en plus d’avoir reçu moult services de sa part, à tous les niveaux. Quatre jours avant le scrutin, il se fait glisser à l’oreille par un candidat adverse qu’il sera gagnant. Il n’ose qu’à peine le croire et, suite à sa victoire surprenante, il n’a quitté son siège qu’après avoir été plusieurs fois grand-père. Probablement que tous les lecteurs de ce texte savent qui est François Gendron et, bien qu’il ait été impliqué dans l’instauration de plusieurs arénas dans son comté, au point de se retrouver avec le plus haut ratio d’arénas par 1000 habitants au Québec, qu’il ait travaillé fort pour la venue d’une usine de papier journal à Amos, qu’il ait apporté un siège social en région, qu’on lui doive le programme permettant à tous les villages du Québec d’avoir une sortie asphaltée, d’avoir lancé le « Plan Gendron », créant le plus vaste réseau d’animation culturel des bibliothèques en milieu rural (réseau Biblio), d’avoir travaillé à l’instauration des serres coopératives de Guyenne, on ne pourrait se vanter d’avoir une liste définitivement complète.

François dit souvent que les deux jambes du pantalon du Parti Québécois sont la souveraineté du Québec et la social-démocratie. Il sait donc, par sa longue implication politique de plus de 40 ans, que la force d’une chaîne est équivalente à la force de son maillon le plus faible. C’est une belle formule à dire pour gouverner une collectivité, mais il a appris à la dure que c’est aussi vrai à l’échelle d’une personne. Jusqu’au début des années 80, tout fonctionnait relativement bien pour lui. Il prenait du galon, se retrouvait dans le conseil des ministres, mais le grand Gendron hyperactif frappe alors un nœud. Ce n’est pas un adversaire politique qui le lui fait vivre, mais bien son propre corps. Alors qu’il est ministre de l’Office de planification et développement du Québec, on lui confie la négociation d’une entente-cadre avec le fédéral d’une valeur de 2,6 milliards de dollars en 1983. C’est trop gros. Il n’y connait presque rien et la pression se fait trop grande. Quelques dimanches passés en tête à tête,  avec Jacques Parizeau pour mieux comprendre les rouages de ces négociations n’empêchent pas son esprit de s’emballer pour provoquer des crises de panique. En excès de sueur, c’est semi-conscient que son chauffeur le trouvait parfois en fin de soirée, devant le transporter d’urgence à l’hôpital pour qu’il reçoive un sédatif afin de le raplomber. Il va sans dire qu’après avoir fait une première crise, on reste toujours plus à risque d’en faire d’autres ensuite. Après la fin des négociations qui s’est soldée, au dire de plusieurs observateurs, par une grande réussite sur toute la ligne, François constatait que, malgré lui, le ver était dans la pomme.

Un jour où il avait fait une grosse crise, le médecin de Québec qui l’auscultait l’a regardé droit dans les yeux en lui disant : « C’est la quinzième fois que je te vois revenir. Toujours pour la même raison. On te pique, puis tu repars… et tu reviens. Je suis tanné. Je ne veux plus te voir ici. Si tu t’avises de revenir à nouveau, la porte va être barrée. Veux-tu savoir ce qui t’attend si tu continues comme ça? (Tiens, regarde ici, il pousse une porte où on voit des quadraplégiques en fauteuil roulant!) Y a un psychiatre de disponible tout de suite si tu veux… mais je ne veux plus te revoir ici pour une crise de panique. » Ça a été son déclencheur. Toutes les réalisations les plus extraordinaires du monde ne tiennent que parce que ceux qui s’en occupent ont la santé pour le faire. Il a suivi la thérapie et a songé sérieusement à ne pas se représenter aux élections de 1994. Or, comme il n’a fait qu’une seule autre crise de panique dans les années d’ensuite, il a tenu le coup. Pour ce qui est du chef d’alors, Jacques Parizeau, dans la valse-hésitation autour de sa candidature, il ne croyait pas son poulain à l’effet qu’il amasserait de 25% à 30% plus de votes dans son comté que la moyenne québécoise. Une étude interne a donné raison à François et aux élections de 1994, il a même dépassé ses propres prédictions. Déjà, on pouvait affirmer que c’était davantage le comté de François Gendron que le comté du Parti Québécois. Oui, la force d’une chaîne est équivalente à son maillon le plus faible et François l’a réellement compris juste à temps. Il a consulté pour ses problèmes et il a bien fait. Il franchit aujourd’hui le cap des 75 ans, en grande forme.