Émile Bourassa, 92 ans

Champneuf

Le patois d’Émile : « Ah ben, Sainte-Barbe !!! » Aujourd’hui, c’est à nous de dire « ah ben Sainte-Barbe » à tout bout de champ, quand on l’écoute. Avec son vécu, on ne peut pas se tromper. Vous vous surprendrez à le dire tout haut à la simple lecture de ce texte…

Ché pas si vous allez me crère, mais vrai comme chu là… Émile Bourassa quand il a perdu son père, il avait 15 ans pis son frère en avait 18. Le reste de la famille est reparti à Louiseville mais eux autres non! Ils se disaient que c’est ici que l’avenir se trouve… à Champneuf ! Ils se sont engagés à faire, à deux seulement, des maisons de colonisation du plan Vautrin. Des maisons 24 pi. X 22 pi, d’un étage et demi, pour les colons qui continuaient de venir en masse, en étant subventionné dans les années 40-50. Bon, bon, bon! Vous direz que ce n’est pas si exceptionnel que ça. Ben moi je vous dis qu’ils entreprenaient la maison le lundi pis que le vendredi après-midi, les clés étaient dans les mains du nouveau proprio. Leur seule aide : un chien de traîneau qui tire des matériaux.

« Ah ben Sainte-Barbe!!! »

Ché pas si vous allez me crère, mais vrai comme chu là… Après avoir fait une série de ces maisons-là pour construire le pays pour vrai, ils se sont eux autres mêmes fait une belle maison en bois rond, plein pied, coupée en deux en plein milieu, pour faire deux pièces (une pour Émile et l’autre pour son frère Alcide). Je vous entends encore vous plaindre que vous perdez votre temps parce que c’est pas si impressionnant que ça ? Ben moi, je vais vous dire que les maudites mouches du secteur des Côteaux, c’est vrai qu’elles sont pires qu’ailleurs… y en avaient tellement pour asticoter les trois chevaux qu’ils venaient de s’acheter que les pauvres bêtes sont rentrées dans leurs maisons en bois rond, en forçant la porte pour se sauver des mouches. Ça a pris deux heures tapantes pour venir à bout de les sortir de là tous les trois.

« Ah ben Sainte-Barbe!!! »

Ché pas si vous allez me crère, mais vrai comme chu là… Dans les veillées nombreuses où Émile pis Alcide se faisaient inviter, il y avait souvent monsieur Millet (un métis magwa de Yamachiche anciennement) qui se berçait en fumant sa pipe. Bon encore, vous allez me dire que vous cognez des clous… Réveillez-vous parce qu’un bon soir, on a entendu un gros POOWWW! Y avait de la fumée partout. Tout le monde a arrêté de danser. Quand la boucane s’est tassée, on voyait monsieur Millet, la face toute noircie avec rien qu’un petit bout de pipe qui lui dépassait de la bouche. Ben y avait trouvé le moyen de tasser le tabac dans sa pipe avec une cartouche de 22 !!

« Ah ben Sainte-Barbe!!! »

Ché pas si vous allez me crère, mais vrai comme chu là… Au bout de quelques années, Émile a été l’homme de confiance de Jean-Jacques Cossette à Champneuf qui a parti un moulin à scie, pour faire travailler le monde. Émile a aussi été l’homme de confiance des autres boss d’ensuite. Émile ne savait pas encore qu’il allait passer 33 ans de sa vie à l’usine, mais surtout, il ne savait pas à quel point il faudrait se débrouiller avec les moyens du bord. Bon, bon, bon… vous me direz que tout le monde dans l’ancien temps devait faire ce qu’il faut avec les moyens du bord.  C’est vrai, mais moi je vous dis que quand t’es à l’ouvrage pour un moulin à scie en plein air pis qu’il y a une tempête de neige durant la nuit, il faut être original pour faire rouler ça. D’abord, on enlève la neige avec la pelle pis le balai. Rendu là, la « strappe » de la machine, ben souvent, au moment de démarrer, elle vire dans le beurre parce qu’elle est toute mouillée. Ben c’est là que le boss disait à Émile d’aller chercher, sur la pointe des pieds, de la mélasse dans l’armoire chez eux (oui, oui dans la cuisine du boss), pour graisser la « strappe » pour que ça fonctionne. “Pis fait attention, des fois que ma femme Marie-Paule Gonthier ne serait pas levée encore le matin quand tu viens.” Un hiver, au nombre de tempêtes qu’on avait, ce qui devait arriver est arrivé : il est tombé à pleine face sur Mme Gonthier qui a manqué de perdre connaissance. Après explication auprès de la dame, les choses sont rentrés dans l’ordre et je peux vous dire que la mélasse, ça fait une job incroyable sur les « strappe » mouillées.

« Ah ben Sainte-Barbe!!! »

Ché pas si vous allez me crère, mais vrai comme chu là… Émile Bourassa a fracassé un record pis je parle pas d’un record inutile comme de manger le plus de hots dogs en 10 minutes. Oh que non! Il a occupé le premier siège de conseiller municipal à Champneuf en 1964 et il a laissé il y a à peine deux ans. Si vous faites le décompte, ça fait oui, oui… 53 ans comme conseiller municipal. Ça en fait pas mal de brassage de papier, hein? Record québécois de tous les temps. Qu’est-ce qu’on dit dans ce temps-là?

« Ah ben Sainte-Barbe!!! »

Ché pas si vous allez me crère, mais vrai comme chu là… Quand on demande à un vieux “qui furent ses modèles les plus inspirants dans sa vie?”, il répond habituellement: “mes parents, mes professeurs de jadis ou un collègue marquant.” Ben pour Émile, c’est pas ça pantoute. C’est le seul sur 160 ainés à m’avoir dit que c’était son petit-fils. Stéphane. C’est pas les générations d’avant qui l’ont inspiré le plus, c’est celles d’après. À propos de son petit-fils Stéphane qu’il a vu grandir pendant toute la jeunesse de ce dernier: « Il est smat avec tout le monde. Il est débrouillard (c’est épouvantable) pis surtout, y a la tête pour dire et pour faire ».

« Ah ben Sainte-Barbe!!! »

Le pire dans tout ça, c’est qu’Émile dit Sainte-Barbe, alors qu’il est chauve et sans un poil qui dépasse au menton !!!