Claire Baril-Pharand, 87 ans

Témiscaming

La petite Claire a 9 mois. Elle est dans une famille aimante dans la ville de Témiscaming en 1932. Elle se traÎne à 4 pattes et s’accroche après les meubles pour fouiner depuis peu. Jeanne, sa mère, a le mot FAMILLE écrit en grosses lettres sur son cœur depuis que sa propre mère ne peut compter que sur elle et sur son mari pour le reste de ses jours. Jeanne met la petite Claire à coucher sur le divan, en espérant qu’elle y reste pour le temps qu’elle doit aller chercher un de ses fils pendant quelques minutes dehors. De nouvelles capacités physiques doublées d’une curiosité sans bornes fait se lever la petite sitôt la porte fermée. Dans sa tête, les chemins s’escaladent : « L’entrée ou la cuisine?… la cuisine! Le frigo froid ou le poêle chaud?… le poêle chaud. Ah! Une chaise juste à côté, super! Oh, sur le poêle, il y a une marmite qui bouille. Est-ce que c’est une soupe pour moi? Je veux sentir. Je veux sentir. » Comment dire les mains d’une enfant de 9 mois qui élancent les paumes sur la fonte brûlante d’un vieux poêle à bois? Comment dire autrement que sa peau fondait? Comment dire le cri de mort, la voix éraillée et la panique d’une mère? Comment dire que la petite s’est appuyée sur son avant-bras pour se repousser, en vain, et que, manquant de force, son front a touché la plaque du poêle lorsque sa mère l’a sauvée?

On s’occupe aussitôt de la petite et le voisinage ne fait qu’une bouchée de la nouvelle du jour. La nouvelle court à bride abattue jusqu’à atteindre le curé Letang, quelques heures plus tard. Peu le savait avant, mais tous ont su cette journée-là qu’il avait un don reçu à sa naissance. C’était celui d’arrêter le feu. Il était chez lui et lorsqu’il a su pour la petite Claire, il s’est concentré et a pensé très fort à elle en faisant une sorte de prière au fond de lui. Il a baissé la tête et essayant de canaliser ses forces vers elle, et il a ensuite envoyé des gens la voir. Elle fut presque instantanément apaisée de corps et de sentiment, au point de tomber de sommeil dans les minutes suivantes, au creux des bras de sa mère.

Près de 20 ans et 5 chirurgies de peau plus tard, Claire s’est mariée à celui qui est ensuite devenu le maire de la petite municipalité qui est voisine de Témiscaming. Une municipalité en manque d’un nom. Claire a proposé et obtenu du conseil municipal que ce coin de pays se nomme « Letang », en l’honneur du curé du même nom qui avait calmé ses souffrances en 1932, par son don exceptionnel d’arrêter le feu. Malgré une fusion avec Témiscaming au début des années 70, c’est encore ainsi qu’on nomme ce gros quartier de l’extrême sud de la région. Aujourd’hui, c’est la petite Claire devenue grande que je trouve exceptionnelle de ne jamais s’être apitoyée sur son sort, malgré les brûlures physiques et morales qu’elle a subies.