Bertrand Boucher et Benoit Beaudry-Gourd

Rouyn-Noranda

« – Écoute Bertrand, se battre pour l’éléphant d’Évain, ça oui, mais jusqu’à quel point? On sait que c’est l’ancien maire Victor Tremblay qui l’a fait construire avec des talents locaux. Il voulait faire quelque chose d’impressionnant pour les enfants de sa place, tout en se distinguant des autres municipalités. On sait aussi que sur la trompe de l’éléphant, jusqu’au milieu des années 2000, on pouvait glisser longtemps jusqu’en bas avant qu’il soit jugé non conforme pour la sécurité, pis qu’on lui ferme le ventre énorme et qu’on barricade la trompe-glissade. C’est vrai aussi que c’était le symbole d’Évain, mais est-ce vraiment toi qui es monté aux barricades pour le sauver ?

– Ben écoute. On était en 1998. Le Club de motoneige s’était mis en tête de faire passer la trail régionale directement dans le parc où était l’éléphant. Au bout d’un certain temps, il n’y avait rien qui bougeait, pis moi j’y tenais mordicus. Un moment donné, en début novembre, y a du monde qui bûchait dans le parc. J’ai alerté le conseil municipal pour entendre finalement que le club considérait que ça allait passer comme une lettre à la poste. J’ai fait connaître mon opposition, mais il fallait que j’en fasse plus. J’ai étudié et travaillé en communication, et avec tous les contrats que j’avais avec Benoit Beaudry-Gourd et quelques autres (Les Productions Abitibi-Témiscamingue et PAT communications: 75 entrevues avec des informateurs âgés; les émissions de télé Au cœur de nos vies, la forêt et les mines, Souvenance; mes anciens amis de Multimédias, le quiz régional L’Express en tête; les animations et textes de toutes sortes que je faisais avec du contenu de recherche de Benoit comme historien; les portraits de familles; mes entrevues réalisées avec René Lévesque, Jean Charest et d’autres ministres.) Tu comprends que j’étais dans une période très active et que je croisais bien du monde… J’ai croisé à ce moment-là Rémy Trudel en avion qui était alors notre député et Ministre des Affaires municipales à Québec, pis je lui ai demandé ce que je pouvais faire avec ça.

– Oui, mais revirer le monde à l’envers pour un éléphant en fibre de verre à Évain!  Il me semble que tu as dû voir passer des dossiers plus importants que ça, pour la région, non?

– Oui, mais il y avait urgence et j’ai décidé de faire un communiqué de presse là-dessus et de fonder le Comité de citoyens « Les amis du parc Victor ». L’attention de tous fut mise là-dessus et je dois te dire que j’ai donné des coups de gueule assez fort. Juste pour t’illustrer ça : j’étais en déplacement entre Montréal et Québec en train, et au bout du wagon, il y avait un téléphone. J’étais en ligne avec Claude Arcand, pour parler de notre cause en ondes et pour ne pas déranger personne dans le convoi, je me suis mis face au mur. Eh bien, je me suis si bien emporté qu’à la fin de la conversation, je me suis retourné et… tout le monde me regardait ! Un gars à côté de moi m’a dit : “Le moins qu’on puisse dire, c’est que t’es un gars entier!” Dans les jours suivants, le conseil municipal d’Évain et le Club ont décidé de faire passer le tracé de motoneige ailleurs que dans le parc Victor.

Aujourd’hui, l’éléphant est encore là, mais il est devenu plus décoratif et il a été rénové. On a encore notre symbole à Évain. »

À vous, chers lecteurs, j’aimerais confier que j’ai plus d’un tour dans mon sac en possibilité de recherche et que, comme j’ai déjà habité à Évain durant quelques mois, je vous confie ceci : j’ai su entre les branches que si Bertrand Boucher tenait à ce point à l’éléphant, sans m’expliquer réellement le fond de son attachement, c’est que l’intérieur du ventre gigantesque de la bête contiendrait en fait les archives de tous les projets de Bertrand et du duo Boucher et Beaudry-Gourd. Des dizaines d’années fastes en mémoire collective dont les originaux sont planqués dans une immense structure, juste assez grosse pour les contenir toutes, et qui sont la prunelle des yeux de Bertrand. Mes informations ne s’arrêtent pas là. J’ai aussi su les phrases codées pour y entrer. Il faut aller devant la bouche et dire tout haut d’un ton solennel : « Chers amis, quelle ne fut point ma surprise de vous voir ici réuni! Enfin je serai bref, car l’émotion m’étreint. En un mot comme en 1000 : merci d’être là! » Il répète ces phrases plusieurs fois par mois… y pas de hasard là-dedans. La bouche de l’éléphant en fibre de verre s’ouvre alors et la trompe vous permet d’aller chercher le document précis que vous souhaitez avoir.

Personnellement, tant qu’à être dans le secret des Dieux, en mission secrète, j’ai été prendre les détails de l’affaire « Carré d’agneau… pour une radio qui a meilleur goût » qui a conduit un collectif de 100 personnalités de la région à faire ultimement congédier en mobilisation éclair l’animateur radio tenant les propos les plus infâmes que nous ayons eus. J’ai remis le tout dans l’éléphant. Finalement, comme on est à l’heure du numérique, je me suis laissé dire que le double des archives mentionnées ici est contenu dans la vénérable moustache de Benoit Beandry-Gourd qui n’est en fait pas une vraie moustache, mais bien un amas de fibre optique teint en brun foncé au soleil du Mexique. Chaque poil contenant un projet archivé, c’est dire à quel point ils ont été actifs depuis les années 70. Sa moustache est si fournie que ça ne me surprendrait pas qu’elle contienne également l’ensemble des données des archives nationales du bureau de Rouyn-Noranda. Il en est le fondateur. Même les archives seraient archivées, vous imaginez?