
Bernard Bélanger, 67 ans
AmosDans la solitude du sous-sol de la maison, Bernard était au milieu d’une famille de sept enfants. En grandissant, il a vu son frère, beau comme une carte de mode, draguer avec succès les jeunes filles de son âge. Lorsqu’il lui a dit un bon jour qu’il aurait lui aussi beaucoup de succès auprès des femmes, son frère a ri de lui et a laissé une entaille d’une profondeur minière en lui, en disant : « C’est impossible. Regarde-toi. T’es pas beau. » Bernard a trainé cela tant et si bien qu’il a complexé sur plusieurs points de son physique pendant des années, jusqu’à repousser la première blonde qu’il a eu. Il était convaincu qu’elle lui mentait effrontément lorsqu’elle lui disait qu’elle le trouvait beau. En plus, ses notes à l’école étaient lamentablement basses. À ce moment, dans une histoire semblable, il faut bien une bouée de sauvetage. Un réconfort. Sinon, la mort commence à vous faire de l’œil d’une manière délicieuse et inquiétante.
Emmuré mentalement contre les mauvais regards extérieurs, il a incubé en lui-même un sens très aiguisé pour l’analyse des choses du cœur. Il liait de mieux en mieux ses racines de misère à celles des opprimés sur cette terre. Déjà hypersensible au feeling des gens présents dans la pièce, il avait collectionné une palette de sentiments si variée dans sa vie qu’il était capable d’empathie à un niveau devenu impressionnant. Mais on s’entendra facilement pour dire que l’empathie et la solitude sont des concepts qui se marient plutôt mal. C’est alors qu’il a empoigné fermement la guitare de son frère, en cachette. En posant les doigts sur les cordes, il a senti vibrer son âme. La caisse de résonance le faisait trembler à chaque accord qu’il grattait. Tout le réconfort du monde pour ne pas dire carrément que le monde se trouvait à l’intérieur de cet instrument de survie et d’expression. Au bout d’un temps, il eut beau apprendre les plus belles pièces d’Elvis Presley pour sa mère qu’il aimait tant et se retrouver avec un bon répertoire appris à l’oreille, il n’avait aucun public.
À 22 ans, une prière bien décochée en direction du ciel a trouvé preneur. « Vierge Marie, qu’est-ce que je pourrais bien faire avec ma guitare, moi qui est pogné dans mon coin? » Presque aussitôt, il a reçu un appel du Foyer Harricana d’Amos pour l’inviter à venir donner une prestation bénévolement pour les aînés. 46 ans plus tard, il donne encore des spectacles gracieusement au Foyer, mais aussi dans des dizaines d’autres endroits d’Amos et des environs. Il dit souvent : « Quand je fais du bénévolat, je fais un dépôt à la banque du ciel ». Richard Abel l’a déjà accompagné à la cathédrale il y a quelques années et Bernard collectionne les événements payant pour son cœur humain. Qu’importe l’argent sonnant. Il a abattu à grand coup de guitare les murs de son enfermement mental, au grand plaisir des milliers de spectateurs, à commencer par les prisonniers, les mourants, les jeunes et les aînés. Or, des qualités d’empathie acquises jeune dans la réclusion, ça ne meurt jamais. Encore à ce jour, il fait partie du top 20 des personnes qui m’impressionnent par leur forte capacité à entrer profondément en relation amicale. Ses yeux et ses paroles ne mentent pas. Et, si vous croisez bientôt ce bel homme à la stature du père Noël, faites-lui une demande spéciale. C’est libre à vous, mais… y a rien comme une bonne vieille chanson de son idole Elvis Presley!





