Bernadette Augushing, Margaret Diamond, Pauline Cheezo
Val-d'Or (anciennement Winneway, Waskaganish, Matagami et Lac-Simon)Je commence ma journée en entrant au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, qui ressemble à une ambassade autochtone dans la ville. Je deviens minoritaire. Pascale-Josée, qui travaille ici, me revoit après des années en me parlant comme si c’était hier. Après un dîner sympathique avec ses collègues, à parler des blagues populaires du moment et de la mystérieuse provenance de l’expression française « marcher en file indienne », j’affronte la grêle avec Pascale-Josée pour aller chercher en voiture une aînée qui fait habituellement de la couture avec le groupe. Margaret a de la difficulté avec ses poumons, mais elle fonctionne tout de même. Je me présente avec quelques explications sommaires, mais je vois bien que la discussion est quelque chose qui s’apprivoise. De moi à eux et inversement. «Go with the flow» , comme on dit. En arrivant au local au sous-sol, une belle salle multifonctionnelle vert lime m’impressionne, même si elle est presque déserte. Serons-nous trois, quatre ou bien plus? Seul le temps nous le dira. Moi qui suis habitué à mener les entrevues avec mes questions, je me détache et je fais confiance au moment. D’autres femmes commencent bientôt à arriver et 14h n’avait pas encore sonnées que je me retrouve dans une foule entourée de trois ainés de provenance différentes, l’animatrice, ainsi que quatre jeunes femmes et leurs chums. Une fourmilière par beau temps. Le projet du jour : se lancer dans la conception importante des mocassins, pour les enfants qui feront bientôt la fameuse « Cérémonie des premiers pas. »
« – C’est une cérémonie traditionnelle, et certains prennent cela très à cœur. On habille les garçons et les filles différemment. Tu vois, ici il y en a qui font des « capines » (sorte de foulards traditionnels à rebord de dentelle, pour mettre sur la tête des fillettes, pour éviter de se faire piquer par les mouches) et d’autres, des petits mocassins. Ils marcheront dans un tipi sur un tapis de branchage. Pour les parents plus traditionnels, c’est réellement la première fois que leur enfant met le pied sur la Terre Mère. Tu devrais voir au CPE les éducatrices qui font des steppettes pour que ces enfants-là ne touchent pas par terre! Mais je te jure Guillaume, quand on arrive à la cérémonie, ces enfants-là, on les reconnait. Ça se sent qu’il se passe quelque chose de spécial. Y a une énergie qui se transmet et on est plusieurs à avoir des frissons. Les premiers pas sur Terre, c’est un peu comme le baptême autochtone. »
Le temps passe tranquillement et la première chose dont je me rends compte, c’est que je suis en train de tailler de la doublure de mocassin pour des parents de jumeaux qui viennent de naître. Étant sortie du Lac Simon par adoption à 3 ans pour être envoyée à Montréal, cette jeune mère revient maintenant en pleine vingtaine pour se réapproprier sa culture anishnabe. Elle est curieuse et motivée et elle trouve ici une famille dans ce local, où chacun se parle comme frères et sœurs. Oh surprise! Une femme qu’elles connaissent bien arrive avec son fils de 8 mois dans les bras. On délaisse les bricolages temporairement et les aînés se mettent ensuite à faire des arrêts fréquents de leur travail minutieux, pour faire des grimaces à l’enfant. Je change bientôt de table pour aller aider une aînée qui n’a qu’un bras.
« – J’ai eu un accident il y a plusieurs années quand j’étais pas en état de conduire. J’avais consommé. J’ai été un an à jamais sortir de chez moi, parce que je ne voulais pas que les gens me voient avec rien qu’un bras. Au bout d’un an, ce sont mes petits-enfants qui m’ont convaincue que ça n’avait pas de bon sang de déprimer chez moi, pis qu’il faudrait que je sorte. Après ça, je me suis organisée pour réapprendre à fonctionner de l’autre main. Je suis devenue gauchère. Moi, je viens de Long Point, (Winneway), mais je ne suis pas restée là ben longtemps. J’ai été restée à Rouyn, à Québec, à Montréal pis ailleurs avant de revenir, il y a longtemps, à Val-d’Or. L’amour, ça a mal fonctionné.
– C’est quoi votre endroit préféré où vous avez habité?
– Val-d’Or. C’est ici que je suis le mieux.
– Vous croyez encore à l’amour entre deux personnes ou plus du tout?
– L’amour entre moi pis mes enfants oui. C’est tout. La seule chose que je pourrais dire c’est : «Restez sobre. Ne consommez pas quand vous vous installez avec un chum ou une blonde.»
Pendant tout ce temps, mes yeux se portent sur les gestes de cette dame qui fait tout avec une main seulement. Dans ma tête, manger, ça va. Se brosser les dents aussi. Mais de voir cette dame souriante changer une bobine défectueuse de fil de machine à coudre, découper droit, assembler les morceaux incluant une dentelle aux froufrous récalcitrants, repasser son morceau fini presque sans aide de ma part, ce n’est pas mêlant… les bras m’en tombent ! Je ne sens pas d’orgueil de sa part pour paraître plus capable que ce qu’elle est. Elle est vraiment capable et habile. Je fais bientôt figure d’écouteur plus que d’aide technique. Puis, les discussions s’animent avec encore des éclats de rire fréquents. La réputation de ricaneuses qu’ont les femmes autochtones tient à quelque chose, c’est bien vrai. La moindre inattention tourne au comique, et je me sens choyé de voir directement et dans un contexte si plaisant, les secrets de fabrication des mocassins et leurs variantes traditionnelles selon les communautés. Chacun s’y applique jusqu’à ce qu’une couche de plus s’ajoute à l’expérience. Le chum d’une des filles prend subtilement la guitare du coin, pour entamer un air folk en anglais. Il est habile et les notes s’agencent bien aux propos qui se tiennent à la table ronde. Seule la nouvelle de retour de Montréal et moi semblons avoir remarqués, tellement ça semblait naturel. Pascale-Josée me dit que c’est toujours comme ça ici durant les ateliers. Elle dépose maintenant une boite de carton sur la table en disant qu’elle fera des heureux bientôt. Les gens voient fébrilement sortir toutes sortes de billes, de fils et de tissus qui leur serviront bientôt à faire d’autres objets traditionnels. Tout le monde est content. L’animatrice leur annonce du même souffle qu’une activité s’en vient. Les savoir des anciens seront réclamés autour de quelques thèmes au site « Kinawit » et elle insiste sur le fait que les ainés seront non seulement libres de participer, mais surtout libres d’apporter leur enseignement « de la manière qu’ils le souhaitent ». La dernière partie de la phase réjouit particulièrement deux d’entre elles. Dans la dernière demi-heure, on parle de religion au travers des dernières coutures.
« – Moi, après ce que j’ai vécu comme agression par les religieux catholiques, j’ai arrêté d’aller là. Maintenant, je suis évangéliste, comme elle, ici. On est plus respectées et on a plus de choix de parler.
– On entend souvent des autochtones qui, comme vous, ont subi cela. Est-ce que vous pensez que tout le monde qui est passé par les pensionnats a été agressé?
– Non, pas tout. Il y a en a pas beaucoup, mais quelques-uns jurent qu’ils n’en ont pas vécu. Mais on n’avait quand même pas le droit de parler notre langue, pis tout le reste des interdits.
– Oui, je comprends. Sur un sujet un peu différent pendant qu’on achève, pourriez-vous me dire c’était quoi la meilleure journée de votre vie? Votre journée préférée…..
– C’est le jour de la naissance de mon fils. C’est vrai que j’ai été en césarienne, mais ça n’empêche pas que c’était vraiment le plus beau jour de ma vie.
– Moi j’ai eu 4 enfants, mais 5 grossesses. J’ai fait une fausse-couche. Celle que j’ai pas eue devait s’appeler Julia. Plus tard, ma fille a eu une fille et elle m’a annoncé qu’elle l’appellerait Julia. Je suis très contente maintenant.- Moi, si j’avais un jour à retourner faire un voyage dans le temps, je prendrais un jour pour aller connaître ma mère… que je n’ai jamais connue. J’aurais aimé ça. J’ai pas connu ma mère, moi. »
Je réalise que ça ne surprend personne autour de la table d’entendre ce genre de propos, parce que les années qui sont passées, ont mis dans leurs relations une dose de confidences décomplexées qui leur a fait du bien. Ça me fait quand même bizarre de parler de sujets si lourds avec aisance. Au moment de ranger, une jeune me demande tout bonnement pourquoi, durant l’après-midi, je n’avais pas profité de l’occasion pour faire une petite paire de mocassins pour ma fille? J’étais tellement surpris de la question que j’ai baragouiné quelque chose plutôt maladroitement, pendant que je tombais dans la lune. C’est que j’avais tellement l’impression d’avoir des preuves à faire, des efforts de compréhension culturelle à fournir et de l’ajustement de manière d’être à intégrer, que je ne me suis jamais posé la question de mon implication d’artisan. D’une manière toute simple, elles étaient en train de me dire que j’étais le bienvenu dans le groupe et que c’est dans l’action, en faisant quelque chose, que se passent les échanges les plus détendus. Je m’excuse donc d’avance auprès de ma fille de trois mois qui n’aura pas de mocassins faits par son père… qui a passé à côté de cette occasion. Par contre, à bien y penser, c’est peut-être mieux comme ça, puisque ça nous donnera une belle opportunité dans quelques années de faire une activité père-fille en la présentant au groupe, pour qu’elle sente alors, elle aussi, le plaisir de ses femmes d’exception qui savent aiguiller de rires multicolores le souvenir de leurs années sombres.





