Benoît Drolet et Jocelyne Bergeron Gauthier (amis de motoneige), 65 ans

St-Bruno-de-Guigues

Pour ceux qui aiment le doux parfum d’essence mélangé savamment à de l’huile à moteur ou encore le son mélodieux des machines deux-temps, voici quelque chose à vous mettre sous la dent:

À Guigues, en 1966, quand on restait au village durant l’hiver, il était possible de compter sur les sports de glace presque à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Dans les rangs par contre, c’était différent. Le village était loin, mais on est bientôt tombé sur une invention qui allait révolutionner les soirées. Les champs en dormance pour la saison froide pouvaient devenir soudainement utiles, puisqu’on a vu arriver les premiers modèles commerciaux de motoneiges. Trente km/h, ce n’est pas de la tarte !  Moteur deux-temps. Démarrage à crinque. Suspension aléatoire. Snowcruiser bleu, Alouette, Snowjet, Bombardier, Polaris. Que ce soit MM. Bergounion, Ferron ou Paquin qui te le vendent, t’es sûr d’être content pour quelques semaines… avant les premières réparations! À l’hiver 66-67, chacun des tripeux de machines apprend à se servir de son engin, l’ausculte et le pousse à ses limites,  tout en négociant dans la maisonnée, une banque d’heures de lousse pour s’en servir jusqu’au plus tard possible. Chacun viraille dans son propre champ dans la grosse neige molle et on se parle par-dessus la clôture. « T’as ton terrain, j’ai le mien. » Le père de Benoît Drolet, en se grattant la tête, se demande s’il était possible de pousser sa luck plus loin, en demandant des permissions aux agriculteurs du rang pour passer sur leurs terrains et ainsi élargir considérablement l’espace de jeu, pour faire une boucle plus grande. Il appelle M. Paquin, Camil Lacroix et Edward Lemire, lui qui était du rang 3, et obtient la permission de passer avec, pour seule obligation d’avoir à replacer et réparer chacune des clôtures traversées, quand le printemps sera venu. Le mot se passe et le fun commence à pogner. C’est le début d’une spirale sans fin. L’hiver suivant, on se trouve trop restreint dans notre petite boucle et nos yeux réclament de nouveaux paysages. On demande avec succès des droits de passage à M. Brien et à Rolland Lacroix vers le rang 6, pour pouvoir revirer à la Rivière La Loutre. De 4 ou 5 crinqués qu’on était avant, la gang se multiplie l’année suivante. On va même voir George Lemire qui est le dernier qui manquait, pour avoir la possibilité de toucher carrément le lac Témiscamingue. Avec son accord, on peut donc se rendre jusqu’à Haileybury de l’autre bord du lac. C’est tellement loin comme run de motoneige que c’est la première fois qu’on a des chances de se perdre en chemin.

On plante des mini sapins dans la neige pour baliser une trail, on fait une extrême attention à la fameuse craque du chenail entre le Québec et l’Ontario, après quoi on spot la lumière à Lionel Lacroix comme un phare pour être certain de ne pas se perdre. Comme on ne va pas vite, ce sont de vraies expéditions et, dès lors, des femmes souhaitent prendre leur place dans ce monde dominé par les hommes. On en voit donc partir ensemble avec les connaissances rudimentaires de la machine et avec juste assez de force au bras pour tenter des redémarrages en tirant vivement sur la crinque. C’est durant ce même hiver que les plus téméraires et compétitifs se sont lancés à l’assaut de la côte à Estève Lavallée, pour savoir quel bolide réussirait mieux que les autres à escalader cette pente plutôt raide. On pouvait voir au beau milieu de la veillée un des jeunes s’en aller sans crier gare, puis revenir en fin soirée auprès de ses amis, en bas de la côte, avec une motoneige à chenille modifiée. De nouvelles barres de métal rivées dans le caoutchouc propulsaient le type en question vers le sommet avec un aplomb inégalé, l’homme faisant revoler la neige poudreuse sous le regard ébahi des autres compétiteurs. Rien de surprenant quand on constate que les années suivantes ont vu pousser des compétitions de voitures modifiées à Béarn et Laverlochère, puisqu’on se faisait déjà la main en 68 sur des engins d’hiver. Bientôt, on sent que le couvercle sur la marmite saute et ce petit loisir marginal explose pour en devenir un grand qui déchainera les passions jusqu’à aujourd’hui. On annonce que d’autres citoyens ont eu les autorisations de Léopold Lacroix pour déboucher ensuite par la terre ferme à Laverlochère, chez Jos Neveu.

Oh que ça frappait fort, là! La possibilité d’aller boire au bar à Jos Neveu en a motivé plusieurs, d’autant plus que ça permettait de se donner un point de rencontre officiel, pour discuter de projets plus sérieux. Il n’y avait qu’un pas pour se rendre à la constitution d’un Club officiel tout comme dans la plupart des villages voisins vers 70-71. En effet, par le bouche-à-oreille, on s’est rendu compte qu’on avait suivi le même parcours d’histoire en trois ans dans chaque village. Virailler dans le champ en solo, se mesurer aux autres voisins dans une boucle plus grande et finir par déboucher sur l’extérieur de notre village. Les rallyes ont suivi vers 1973 en plus des courses commanditées et de l’amélioration de la qualité et de la puissance des machines. De là, il nous fallait des sentiers de meilleure qualité, et le patenteux Michel Lemire a planché sur une surfaceuse mécanique qu’il a brevetée puis vendue partout à travers le Québec, parce que la motoneige s’inscrivait comme tendance de fond et non comme une mode passagère. À Guigues, les années 65 à 69 ont amené un boom économique avec la construction des barrages et ne vous demandez plus à quoi l’argent en surplus à bien pu servir dans les familles… ça fait du bruit, ça sent fort et ça nous transporte loin !

Quand l’esprit d’ingéniosité en nous tombe sur un bon morceau, la résistance est inutile. Quand l’esprit aventurier en nous tombe sur de nouvelles destinations, la résistance est aussi inutile. On a “fait nos frais”, chevauchant des machines qu’on a rendues légendaires et les chemins d’aujourd’hui nous conduisent vers des pays lointains… plus loin encore que nos regards n’aient jamais été. C’est le propre de l’humain de chercher à voir plus loin. Benoît et Jocelyne en sont témoins.