Aurèle Dubois, 72 ans

Malartic

« Bon appétit les gars! Eille, c’est ta première journée le jeune? J’ai oublié une pièce à demander au gars en haut de l’élévateur. Pourrais-tu lui demander de me descendre un sky hook s’il-te-plait? » Une fois la porte de la lunchroom fermée, ça rit très fort parmi les vieux mineurs. « Voir si on peut poser un crochet dans le ciel! Bon, taisez-vous, il s’en revient. Quoi? OONNNN! Y a pas voulu t’en donner? Avant de dîner, lui demanderais-tu d’abord qu’il te descende un sac de bootleg? J’en ai besoin après-midi. Merci. » Une fois la porte fermée, on ne rit plus, on est plié en deux. Le pauvre jeune homme de 18 ans qui vit son initiation a passé le message dans le C. B., mais le gars en haut a bien compris le stratagème parce qu’un sac de trous ça ne se demande pas. Il acquiesce donc à la demande, mais le jeune attend pendant 15 minutes un chargement qui ne vient jamais. En entrant dans la lunchroom, tout le monde rit avec lui en lui expliquant l’affaire.

Aurèle Dubois a été initié je ne sais pas combien de fois, en ayant travaillé à Matagami, à Preissac, à Chapais, à la East Malartic, à la Belmoral, dans le Manitoba, en Ontario, à la Baie James. C’est d’ailleurs dans l’un de ses premiers chiffres à la Mine anglo-américaine de Preissac qu’il a coulé la première brique de bismuth dans l’est du Canada, sous le regard attentif des journalistes et des dignitaires. À faire 56 métiers dans le monde des mines sous terre, les « c’est passé proche » sont très nombreux. Passé proche de tomber. Passé proche de se faire estropier. Passer proche de mourir. Dans le temps, les boss, on ne les voyait presque jamais, ou juste 5 minutes pour leur dire que ça va bien. En montant les échelons dans les entreprises, Aurèle est, dans sa vingtaine, devenu responsable de son équipe de raise, où il devait donner le travail aux quatre autres gars. Il a appris à courir pour faire en sorte que le travail avance rondement. Tous sont payés au rendement.

Un bon jour, mieux que toutes les initiations ou les formations très sommaires des débuts, Aurèle a fait la rencontre d’un employé franco-ontarien de 56 ans, un dénommé John Desjardins, qui fut déterminante pour lui. Après quelques jours, John a commencé littéralement à apprendre à Aurèle à travailler. Travailler par étapes plus lentes, mais méthodiquement. « Aurèle, tu reviens 3 fois sur tes pas pour revoir de quoi et venir chercher des outils. Les rails, tu ne les as pas apportés avec toi en arrivant à matin? Ça t’économiserait du temps c’t’après-midi. Ah! T’avais pas planifié ça? Veux-tu, on va prendre un peu de temps, pis je vais te montrer? » Aurèle avait la bonne attitude. Au lieu de prendre le vieux pour un homme dépassé et moralisateur, il s’est montré ouvert à apprendre, voyant que John posait les bonnes questions et semblait connaître la logique des choses depuis plus longtemps que lui.

Non seulement il a écouté ses conseils en prenant du temps, mais, par la suite, il fut capable de faire un peu plus rapidement l’ensemble du travail quotidien classique d’une équipe de raise, de ne pas revenir sur ses pas, de planifier intelligemment et, par-dessus tout, d’appliquer les enseignements de John. Tout cela lui a même permis de se faire engager au CFP de Val-d’Or pour finir sa carrière comme enseignant en extraction du minerai. Vraiment, prendre quelques heures avec un vieux du métier, ça peut parfois nous conduire très loin.