
Aline Létourneau et Géraldine St-Arneault, 93 ans
La SarreAprès avoir été déçue de quitter la communauté des Sœurs de l’Assomption au bout d’un mois seulement à cause d’un billet du médecin, spécifiant qu’elle avait un souffle au cœur, Aline a rendu ses habits. Elle a essuyé les larmes de sa mère et est retournée travailler au bureau de l’inspecteur de la Colonisation à La Sarre. Le directeur lui a dit qu’il l’appréciait tant et si bien qu’il tenterait de la marier avec un de ses fils. Il semble que c’est ce qu’il fit. Or, le nouveau mari d’Aline avait la conception très arrêtée et populaire de l’époque de devoir, par son seul salaire, faire vivre toute sa famille, en reléguant la femme aux tâches domestiques. Après cinq ans de déménagements intensifs pour suivre la job où elle se trouvait, de Forsythe (en plein bois) à Chapleau (en plein Ontario), elle suivait, mais avec bientôt tous les enfants sur les bras, ils se sont sédentarisés à La Sarre. Une fois les enfants relativement grands, du temps libre se pointait sur les calendriers d’Aline qui se voyait bien reprendre un métier. Évidemment, son mari n’avait pas la même conception des choses et l’orgueil parlait très fort. Elle a mijoté son plan en prétextant que sa famille proche avait besoin d’elle pour quelques heures par semaines à une usine d’embouteillage de liqueur à La Sarre. Cela n’était pas faux. Elle a dû s’arranger pour que le travail ne dérange en rien la routine de monsieur son mari ni celle de ses enfants. Presque rien à redire le soir et aucune plainte sur son sort à elle. Elle est ensuite passée progressivement à des cours du soir en comptabilité, tandis que lui s’impliquait dans des causes bénévoles et que leurs enfants étaient grands. Ensuite, elle l’a gagné en l’aidant dans la comptabilité de quelques associations, avant d’avoir sa bénédiction pour travailler ensuite chez Rodrigue Martel, puis pour remplir les rapports à la main de la Régie d’Assurance Maladie du Québec, qui venait d’être créée. À la fin, elle n’avait plus à se cacher. Elle parlait de ses journées, et elle s’est accomplie par des boulots au public qui lui ont fait beaucoup de bien. C’est probablement de cette manière que, dans bien des familles, les femmes ont subtilement pris une plus grande place dans le marché du travail, dans la société et dans leur couple. En pleine conscience, avec une stratégie douce, mais beaucoup d’acharnement. Les révolutions ne se font pas toujours avec des bombes. Et pour ce qui est des Sœurs de l’Assomption, elles ont passé à côté d’une belle chance d’avoir une religieuse encore active dans leur rang à 92 ans, loin du souffle au cœur qu’on lui prédisait et des soins longs termes qu’on craignait devoir lui payer 😉.
Quant à Géraldine, ce dont elle est la plus fière au cœur des réalisations de sa vie, c’est d’avoir donné de son temps durant 20 ans pour couper bénévolement les cheveux des personnes âgées au Foyer de l’âge d’Or de La Sarre. Elle détient les secrets mystérieux des cheveux blancs du secteur. Les événements qui font blanchir tout d’un coup ou ceux qui s’insinuent sournoisement, pour vous donner une tête d’un blanc immaculé sans que vous puissiez vous en rendre compte.
La maîtrise des techniques de bigoudis, elle les connaît. Je parie que rien qu’au toucher, les yeux fermés, elle devait être capable de savoir en face de qui elle se trouvait. Les têtes aux cheveux rêches qui poussent au-dessus d’un cerveau emmêlé, comme les délicates têtes aux cheveux fins comme le caractère de celle qui les porte… elle les connaît toutes. Gracieusement et sans empressement, elle a touché ces gens âgés comme presque personne à leur âge ne le fait. Pris dans des rapports trop souvent verbaux et si loin de la peau. J’espère seulement qu’à 95 ans, Géraldine a une bonne coiffeuse humaine pour toucher délicatement son cuir chevelu et lui rendre cette caresse qu’elle a tant donnée jadis.





