Alice Lescom (nom fictif), 89 ans

Rouyn-Noranda (anciennement Shawinigan et Montbeillard)

L’amour est dans l’air que respire Alice à 17 ans. Son regard croise celui de Laurio et, en longeant un mur de briques à Shawinigan, il va demander à une amie commune si Alice voudrait bien sortir avec lui. Les mains au visage pour cacher sa fébrilité, elle répond:« Bien sûr ». Commence alors une longue série de marches, côte à côte, à croiser leurs destins, en esquissant des rêves à deux, en forme de nuages duveteux. Nuages blancs dont ils devinent souvent les formes, couchés dans la mousse. À cet instant, rien ne sait ralentir leur élan. Ils ont des mots d’amour plein la bouche et ils excellent à les faire sortir.

Leur histoire, c’est « Love Story ».

Puis, le père d’Alice se fait tirer l’oreille par deux de ses amis qui souhaitent le voir déménager dans les nouvelles paroisses d’Abitibi, riches de promesses et d’argent à gagner:  Montbeillard ! Il cède aux propositions, mais, avare de la liberté de ses filles, il les contraint toutes à venir avec lui pour les garder le plus longtemps possible dans sa maison. Sans possibilité d’ajouter un mot, Alice doit se détacher de son bel amour pour partir à des centaines de kilomètres de lui. Ils se promettent de s’écrire. Ils tiendront ainsi le fil solide de leur amour que la poste transportera. L’arrivée à Montbeillard dans le fin bout d’un rang à peine défriché pour trouver une frêle maison rustre non terminée, n’a pas éteint les envies du père d’y rester pour des années. Alice doit s’occuper du petit dernier et charrier deux seaux d’eau le matin, le midi et le soir à travers la montagne, dans un découragement insoutenable. Toutefois, elle pense à Laurio aussi souvent qu’elle le peut, et sa présence à l’autre bout de la province la rassure. Elle est incapable de l’oublier. Si elle avait été majeure, elle aurait déserté la maison familiale, mais pour l’heure, elle tient à une plume et un encrier.

À 19 ans et suite à leurs lettres d’amour enflammées et aux minces chances qu’ils avaient, Laurio et elle, de se retrouver ensemble physiquement, Alice commence à accepter de revoir sous certaines conditions un jeune homme de Rouyn nommé Alcide. Il n’y a pas d’amour entre les deux, mais la raison les poussent à poursuivre leurs fréquentations. Pour sa part, Laurio, certain de ses sentiments et ne voulant pas être en reste, tente le coup d’aller la voir en Abitibi, avec ses propres économies. Leurs retrouvailles sont mémorables, bien que courtes. Leur amour est manifeste. Ils s’aiment vraiment et elle souhaite éventuellement le suivre. Sur le retour dans le rang pour aller le reconduire au village, le père d’Alice insiste pour y aller seul et il en profite pour dire à Laurio de ne plus jamais revenir. Ses paroles sonnaient comme un impératif. Le paternel préférait briser les rêves de sa fille d’un coup sec plutôt que de la voir partir loin de lui. Désemparé, Laurio a quitté Montbeillard en pleurant toutes les larmes de son corps et en se résignant à ne plus écrire à sa douce.

Leur histoire, c’est « Les filles de Caleb ».

La poste a arrêté de transporter leurs missives, mais Alice a poursuivi l’entretien de son affection dans le grand jardin du silence. Cela n’a pas empêché sa fréquentation du moment de devenir plus sérieuse, jusqu’au point de se fiancer. Sous le joug pesant de son père, elle risque un stratagème avec ses sœurs pour prendre un autobus le dimanche soir et se trouver du travail à Rouyn-Noranda, au sein d’une famille fortunée qui venait d’avoir un enfant. Elle s’affirme par ce geste tant et si bien que son père, la voyant revenir au bout d’une semaine, consent par l’absence de mots. Elle commence à mieux vivre, mais elle s’ennuyait toujours de Laurio.

Leur histoire, c’est « Roméo et Juliette ».

Quelques jours avant leur mariage, Alice a l’impression de passer à côté de son destin. Elle s’organise pour parler à quelqu’un de parenté avec Laurio, afin savoir s’il est toujours disponible et intéressé à faire revivre la flamme. Si c’est oui, elle ôtera sa bague et la déposera sur la table au côté d’une lettre écrite de sa main, expliquant à son futur époux : « Comprends. C’est MA vie à MOI. » Or, la nouvelle tombe comme une brique : Laurio est marié depuis 8 mois. Sur cette nouvelle, elle détourne son regard, ajuste sa bague à son doigt et s’en va se marier à Alcide qui est tout de même convenable et qui n’en a rien su. La suite des jours n’apporte pas plus de gaité à Alice qui vit son devoir de femme d’époque. Elle ne vivait pas du tout la vie qu’elle s’imaginait. Son bonheur n’a jamais été complet dans son mariage de raison.

Leur histoire, c’est « La La Land ».

Une fois marié, Alcide s’est comporté en avaricieux. Avide d’argent, il prenait le revenu familial pour le dépenser au compte-goutte et il ne donnait pas un sou à sa femme, sans qu’elle ait à lui demander avec insistance. Ils ont eu des enfants dans ce contexte propre à faire rêvasser encore davantage Alice à propos de son bel amour évanoui : il ne se vit pas dans la posture de celle qui quémande. Au bout de 18 ans, elle s’est décidée à lui refaire la demande d’un budget de semaine juste à elle. Bien sûr, pour toute réponse, elle fut négative. Il lui a fallu se trouver un emploi sans lui dire et accepter sous ses yeux, une heure avant d’entrer faire son premier quart de travail pour qu’Alcide la laisse faire. La laisser faire est un bien grand mot. Il eut beau pester et descendre tous les saints du ciel pour éviter que sa femme lui fasse perdre la face, en allant gagner son propre argent. Elle fit à sa tête.

Leur histoire, c’est « Séraphin Poudrier, Donalda et Alexis ».

Les enfants d’Alice et Alcide n’ont presque rien su du drame de leur mère. À peine savent-ils que leur mère a connu un grand amour avant de connaître leur père. Une des filles a beau la taquiner pour en savoir plus, Alice coupe court à chaque fois. Ça lui fait trop mal. De plus, elle ne veut pas tourmenter ses enfants avec ses vieilles histoires. Pourtant, tous les enfants du couple de raison ont pleuré des séparations douloureuses. Mais, celle d’Alice a quelque chose de singulier. Une magie, une force et une circonstance font entrer dans la légende cet amour qui ne veut pas mourir. Cependant, l’histoire ne s’arrête pas là. Quand Alcide est mort, elle fut soudainement dédouanée de ses responsabilités envers lui. Elle a donc repris contact avec la même personne proche de Laurio pour savoir s’il était encore en vie. Si oui, serait-il possible de rallumer la flamme?

Leur histoire, c’est « Évangéline ».

Il était encore vivant et… sa femme était toujours en vie également, à prendre soin de lui. Alice se risquait à lui proposer une rencontre pour se revoir juste une fois. Une fois pour toutes. Pas pour chambouler sa vie, mais bien pour faire taire cette douleur vive dans la poitrine qu’elle traîne depuis ses 17 ans. Elle rapaille ses sentiments, s’organise et planifie une rencontre, … mais avant qu’elle n’ait pu le voir… il décède d’un cancer !!!

Leur histoire, c’est « Docteur Jivago ».

Elle garde encore, près de son cœur, la seule photo récente qu’on lui ait envoyée. Il parait qu’il a eu une bonne vie avec cette femme et qu’il a eu, notamment, un fils qui lui ressemble beaucoup. Elle se dit que si c’est vrai que son fils lui ressemble, elle courra à sa rencontre, dès cet été, pour lui sauter dans les bras afin de se guérir, grâce à lui. Alice croit en la destinée, et elle est convaincue d’avoir passé à côté de la sienne. Son père l’a brisée et elle le tient responsable. Depuis plusieurs années, elle se console en demandant à Dieu, tous les soirs, de lui faire apparaitre Laurio dans ses rêves. Elle va mourir avec son souvenir. Celui d’un amour en lettres majuscules; un amour qui ne s’oublie pas. Aux portes du Très-Haut, lorsqu’elle trépassera, c’est vers Laurio qu’elle ira. Ensemble, ils façonneront des nuages duveteux pour les rêves à deux des nouveaux amoureux.

Leur histoire, c’est toutes les histoires d’amour du monde convergentes en une seule !!!