Albertine Bisson, 96 ans

Ste-Germiane-Boulé

Albertine a tout connu de Ste-Germaine puisqu’en arrivant en 1934, sa famille faisait partie des pionniers alors qu’elle avait 11 ans. Elle s’est mariée et a eu des enfants avant que le malheur ne s’acharne sur eux. En 1961, à 38 ans, elle perd tragiquement son mari d’un anévrisme. C’est une triste condition d’assistée sociale qui l’attendait pour plusieurs années. Afin de joindre les deux bouts, l’allocation familiale était attendue. Elle s’est bel et bien pointée au bureau de La Sarre pour se faire répondre qu’elle n’y avait pas accès. Ayant appris ses droits, elle est retournée pour réclamer son dû avec plus de force. On s’est mis à la traiter de folle. Elle était peut-être dépressive à cause des épreuves du moment, mais folle, elle ne l’était pas. Elle a même dû subir un interrogatoire médical à cet effet, avant que les spécialistes ne se retournent contre le bureau d’assistance sociale de La Sarre. En poursuite de sa quête, elle a écrit aux deux Premiers ministres dont un lui octroie un maigre 10$ de plus par mois.

Finissant par avoir gain de cause sur le montant reçu de La Sarre, que les fonctionnaires semblaient souvent retenir induement, les années lui envoyaient une série d’épreuves comme une course à obstacles. Une année, c’était le bureau de La Sarre qui offrait aux assistés sociaux du mobilier de maison pour améliorer leur sort. Pendant qu’Albertine demandait un set de table, elle s’est fait répondre : « Bien vite, vous voudrez vivre comme du monde ordinaire? » Le lendemain, elle a trouvé l’énergie d’aller piquer une crise à l’agent provocateur et de lui remettre les pendules à l’heure.

Elle avoue toutefois que le plus difficile à vivre dans le contexte, c’est le commérage. Certaines grandes-gueules se font un point d’honneur de se lancer dans des médisances qui n’aide la cause de personne et de laisser courir les rumeurs pour le plaisir de se sentir écouté. Malheureusement, Albertine constatait que le curé Roy, de la paroisse locale, faisait souvent partie du lot. Aux yeux de ces gens, des enfants élevés sans père, c’est inhumain. Voir des gens pauvres qui sont bien habillés, c’est de les savoir menteurs sur leurs revenus. Voir des gens pauvres habillés en haillons, c’est dégoûtant et signe d’un manque de fierté. « Vos enfants, il ne faut pas les habituer à la paresse! » Vous comprenez que même si elle espérait toujours faire pour le mieux et être parfaite, satisfaire les langues sales relevait de l’impossible. Des commentaires de la sorte, ça entre par l’oreille et ça fait des ravages. Un jour, à propos de la perfection à atteindre, le docteur Bélanger de La Sarre l’a aidé en lui enlevant 200 livres de poids sur les épaules par quelques phrases simples : « …des enfants parfaits? Madame Bisson, enlevez-vous de cela de la tête. Vos enfants ne sont pas parfaits. Ils feront des erreurs comme tout le monde. En autant qu’ils n’en fassent pas de trop grosses, histoire d’être capables de s’en sortir ». C’était parfait. L’humain, non, mais sa phrase, oui!

À faire mentir les gérants d’estrade, elle dit fièrement aujourd’hui qu’aucun de ses enfants ne vit sur le bien-être social. Trouver les mots pour répondre aux affronts et réclamer notre dû, ça se fait assez rapidement. Trouver à faire mentir les langues sales d’un patelin, c’est beaucoup plus long… mais ça se fait!