Lucille Bolduc (née Rainville), 85 ans

Rouyn-Noranda

Lucille et son mari ont eu plusieurs enfants. Ils étaient la prunelle de leurs yeux. À deux, ils ont travaillé fort, comme dans bien des familles, pour donner à leurs enfants tout ce qu’il faut. Même si on ajoute quelques déménagements au Québec et en Ontario pour le travail de monsieur Bolduc, un moment où leur couple tenait par un mince fil (qu’ils ont solidifié), deux vols à main armée subis dans leur dépanneur de la rue Larivière, vous me diriez qu’il n’y a rien de si exceptionnel.

Toutefois, le jour où leur petite fille de 18 mois, Marie-France, a commencé à vomir anormalement, ils ont pris peur. Malgré les tentatives de banaliser le problème par les professionnels de la santé, leurs peurs ont viré au cauchemar lorsque Marie-France est finalement morte quelques jours plus tard. Un désarroi profond. Lucille, qui était enceinte à ce moment, a perdu son bébé dans les jours suivants. Lucille avait 29 ans. Blessure sévère à l’âme d’une intensité telle que son horloge intérieure s’est mise à accélérer en fou. Quand les aiguilles s’emballent dans une surchauffe temporelle, on est bien impuissant. Elle prenait 1 an de vieillesse par jour. Si bien que moins d’un mois plus tard, tous ses cheveux étaient blancs, remplis d’un soudain hiver. Elle a survécu durant les années d’ensuite, en ralentissant le mécanisme. Elle se donnait à ses autres enfants, à son mari, mais surtout à son travail.

Malgré les petits bonheurs de la vie, la présence de sa fille défunte lui manquait à chaque moment libre. Un bon jour, en 1985, elle a décidé d’aller suivre une formation d’accompagnement vers la mort, par le groupe Albatros. Elle n’allait dans ce groupe destiné à parler de deuil et de cheminement personnel, que pour s’aider elle-même. Presque instantanément, avec les partages, la théorie et le travail d’introspection sur son passé, elle a rajeuni de 20 ans. Arborant un large sourire et une sérénité nouvelle, elle fut demandée pour accompagner une personne très seule et malade, dans les dernières années de sa vie. Ce qu’elle fit en y prenant goût. Le groupe Albatros (qui est devenu à Rouyn-Noranda « Les amis de l’Envol ») est maintenant présidé par elle depuis longtemps. Les personnes qu’elle a ensuite formées se comptent par centaines et elle continue. Elle coordonne des dizaines de bénévoles qui accompagnent d’une manière souvent exemplaire les personnes en soins palliatifs et leur famille vers un deuil vécu plus sereinement: c’est qu’elle fait tourner à l’envers son horloge intérieure à chaque fois qu’elle aide. Et, pour tout dire, elle a épargné des cheveux blancs à des centaines de têtes de tous les âges à Rouyn-Noranda depuis 30 ans. Lucille a 85 ans. Elle a l’air de 70.