Denise D., 70 ans
Val-d'OrDenise, j’ai mal d’être un homme parfois. Je te le dis sans détour. On t’a trop menti durant ta vie. Au jour de lecture sur le devenir de l’humanité, je me suis cru chanceux à me savoir appartenir à ce qu’on appelle “le sexe fort”. Je jugeais que si on pouvait choisir à notre naissance, les avantages d’être un homme dépasseraient largement ceux d’être une femme. Maintenant que je suis à l’heure de questionner les vies de chacun et chacune, il arrive que je croise des destins qui me donnent froid dans le dos, tant ma masculinité me pèse lourd en les écoutant. Le mouvement des dénonciations « Moi aussi » (me too) qui s’est transformé en raz-de-marée récemment prend des formes de bombes. Et bien, qu’elles explosent! Rien de mieux ne saurait arriver. Denise, tu es une survivante de l’accaparement de ton être par un homme durant 33 ans. Si on ajoute les 6 ans de troubles administratifs qui s’ensuivent et qui t’ont pourri la vie suite au divorce, ça fait un bilan de vie tout barbouillé de gris. Tu le sais. Tu me l’as dit. Les remords te rongent comme celui de ne pas être parvenue à le laisser après deux ans de mariage. Moment où tu as su qu’il sautait allègrement la clôture. Oui, il t’a dit au lendemain de tes noces qu’il ne voulait pas se marier avec toi, mais bien avec ta cousine, et qu’il continuerait de mener une vie de garçon, comme il l’entend. Oui, il l’a fait. Il t’a trompé, t’a manipulé, t’a menti, t’a berné pour sauver les apparences et casser tes croyances. Casser tes réflexes et tes intuitions. Il t’a fait sentir pour une moins que rien, sentir que ça ne valait pas la peine de toucher pleinement à ton propre salaire ! Ne fais pas reposer tout le fardeau sur tes épaules. Il t’a fallu du temps et plusieurs signes de l’entourage, pour arriver à comprendre que tout le mal qu’il t’a fait repose en très grande partie sur ses épaules à lui. J’ai mal à l’homme en moi parce que je sais bien que d’autres hommes autour de lui qui ont dû l’encourager dans certaines de ces réflexions tordues ou qui ont osé fermer les yeux sur les pires de ses agissements. Il s’est placé en victime alors qu’il avait tout d’un prédateur. Je crois ce que tu m’as dit, Denise, et je le crois d’autant plus qu’une foule d’autres femmes de ton âge, à mot couvert, m’ont fait des confidences semblables. Le mieux que je puisse faire comme auteur, c’est encore d’écrire ces lignes.
Tant d’abus de pouvoir les dents serrées et d’amour désespéré à sens unique, c’est d’une tristesse à faire pleurer tous les archanges jusqu’à la fin des temps. Rabaisser et réduire l’estime de quelqu’un jusqu’à zéro volontairement, sans excuses ni réparations, par jalousie, orgueil, volonté de puissance ou autre, devrait être passible de prison. Je sais, les prisons ne sont pas assez grosses pour les contenir tous. Mais parfois, les envies sont fortes de prendre tous les laissés-pour-compte et leur fournir la chance de donner une sévère raclée à leurs agresseurs qui ont laissé impunément de l’espace en eux pour exploiter les fêlures de vulnérabilité, puis jouer dans la tête de ceux qui avaient pourtant une belle naïveté pure à offrir au monde. Lorsqu’un homme écrase l’estime d’une femme comme toi, Denise et qu’il se rend compte un jour en son âme et conscience qu’il a dépassé les limites de l’acceptable, plusieurs ont le réflexe de continuer encore plus fort, de peur que ceux qu’ils tiennent de main ferme, ne les dénoncent et leur fassent perdre la face. Étouffer les risques de se faire dénoncer quitte à faire mal. Tous les dictateurs d’État savent cela. Ton ex-mari a sali ta vision des hommes au point où une thérapie fut nécessaire pour réapprendre à te servir de tes instincts pour juger de la personnalité d’un homme qui est en face de toi. Tu m’as fait confiance en me laissant entrer chez toi et en m’ouvrant ton livre de vie. C’est un geste grand et cela me touche beaucoup. Les souhaits que tu lances aux jeunes générations, prennent des allures d’impératif à mes yeux : « Gardez chacun vos affaires dans vos relations de couple, au lieu de tout mettre ensemble financièrement. Gardez votre nom.
Gardez votre autonomie et ce que vous êtes. Observez bien de quelle manière votre homme parle de sa propre mère. Si c’est d’une manière négative et qu’il ne l’aime pas du tout, méfiez-vous ». La confiance en l’autre peut très bien s’exprimer par d’autres moyens. Tu as raison.
Tu sais Denise, ce que tu as vu avec deux autres à l’hôpital juste avant le décès d’une personne proche? Oui une mère inconsciente qui ouvre les yeux, qui sourit et qui lévite dans les airs entourés d’une belle lumière sous votre regard incrédule. Te souviens-tu de ce que tu lui as dit, peu après qu’elle soit redescendue doucement dans son lit ? « Si c’est si beau ce que tu vois en haut, de quoi as-tu peur? Tu peux partir ». Eh bien moi, j’ose croire que s’il n’y a pas toujours de justice sur cette terre, il y en aura peut-être une après. Je t’imagine à tes derniers instants, illuminée d’or et souriante, environnée de papillons multicolores qui t’emportent et t’enlèvent le poids de toutes les fourberies. Quand bien même il y en aurait des milliers, les nuages ne seront jamais assez doux pour te faire vivre l’infinie tendresse que tu mérites, Denise. Et moi, je ne suis qu’un homme qui aujourd’hui n’est pas fier de ce que plusieurs des miens ont fait par le passé. Tu nous montres que le sexe fort, en fait, c’est le sexe féminin. Nulles autres que les femmes savent passer au travers de ces épreuves avec autant de résilience, de courage et d’espérance. Je suis père d’une fille et je te jure que cela me comble de bonheur et de fierté. Je ferai tout en mon pouvoir pour qu’elle ait une vie belle et pleine de saines relations, sans complexe. Plus tard, c’est moi qui la suivrai et j’apprendrai d’elle. Si elle a un peu des qualités des femmes comme toi, le devenir du monde s’annonce pour le mieux. Je la suivrai.
P.S. J’espère que tu me pardonneras Denise de masquer ton nom de famille. C’est pour te protéger. -GB





