
Claudette Gélinas, 71 ans
Val-d'Or (anciennement Barraute)Ce n’est pas que Claudette Gélinas le voulait, mais lorsqu’elle était une femme à tout faire à 19 ans pour aider une famille anglophone fortunée de Pointe-Claire, près de Montréal, à relever la femme de son accouchement, ils ne sont pas allés la chercher au terminus d’autobus. Plus encore, c’est une fois rendu sur place qu’elle s’est rendue compte que la famille était unilingue anglaise, incluant les 4 enfants à s’occuper. Pire encore pour elle, ils lui annoncent qu’ils vont passer 1 mois en Floride et qu’elle sera seule avec les 4 enfants. Lorsque c’eût été fini, à la première messe du dimanche, Claudette remit ses souffrances au Bon Dieu et demanda que le futur soit mieux.
Ce n’est pas que Claudette le voulait, mais à 23 ans, alors qu’elle revenait de Matagami pour s’installer à Barraute avec son mari, deux passagers arrières qui étaient de parenté, ses deux enfants, en plus du troisième qu’elle portait dans son ventre; un camion leur a coupé la route. La collision fut horrible. Tous furent blessés, mais l’homme qui était derrière a poussé sur son banc avant par la force de l’impact. Cela a projeté Claudette tête première dans le parebrise qui se fracassa, en la défigurant complètement. La fin du monde n’était pas pire que le mal qu’elle endurait. Un an plus tard, après son accouchement, elle est allée se faire reconstruire la figure en trois étapes par des greffes complexes bourrés de souffrances, qui ont tôt fait de mettre leur compte en banque lui aussi en souffrances. L’assurance maladie n’existait pas encore. Elle a entamé des poursuites contre le conducteur et elle risquait gros car le no fault de Lise Payette pour indemniser les victimes à l’aide du régime public n’existait pas encore. Elle emprunta à une compagnie de prêt usuraire et finit par s’en sortir en gagnant contre le chauffard ivrogne pour 5000$, ce qui paya ses opérations. Pour tout dire, elle a tenu le coup seulement parce qu’elle devait prendre soin de ses chers enfants. Lorsqu’elle eu fini, à la première messe du dimanche, Claudette remit ses souffrances au Bon Dieu et demanda que le futur soit mieux.
Ce n’est pas que Claudette le voulait, mais le 22 juin 1980, son plus vieux fils de 13 ans, en s’en allant en vélo au chalet près du lac Decarufel, décide à traverser la route suite au passage d’une voiture mais ne voit pas la voiture qui arrive en sens inverse. Le jeune couple de Chazel, en plein voyage de noces, frappe de plein fouet le jeune Marcel et il meurt. Le conducteur sombre dans le désarroi. Dix minutes après, ça sonne à la porte de chez Claudette pour annoncer le pire.
Claudette ne répond plus d’elle-même. Plus rien n’a de sens… ou presque. Les feux brûlants de l’enfer ne seraient pas pires. Elle s’accroche à ses deux enfants qui restent. Quelques mois plus tard, elle apprend la détresse psychologique du conducteur jeune marié qui a pleuré toutes les larmes de son corps. Elle fait alors venir le curé de la paroisse, pour lui remettre une très importante carte de Noël à son attention. « Sachant votre grande tristesse, apprenez que nous ne vous tenons pas responsable de la mort de notre fils. Vous pouvez dormir tranquille. Joyeux Noël à vous et à votre famille. » Claudette a surmonté sa colère. Elle a fait triompher le pardon se disant qu’il y avait assez de la famille en deuil et qu’il n’était pas nécessaire d’en ajouter une autre non-responsable. Elle a délesté le conducteur de la chape de plomb qu’il portait. En soi, c’est le plus beau cadeau de Noël qu’il m’a été donné de connaître. Lorsqu’elle a eu terminé tout cela, Claudette est allée à la messe du dimanche, a remis ses souffrances au Bon Dieu et a demandé que le futur soit mieux.
Ce n’est pas que Claudette le voulait, mais après sa séparation salutaire et juste après que ses enfants volèrent de leurs propres ailes, elle s’est mise à rêver à des projets fous. Toutefois, une opération pour enrayer ses acouphènes tourna mal et elle s’est retrouvée avec un vertige permanent faisant en sorte qu’elle a dû se tenir sur les murs aux moindres déplacements. Le médecin était pessimiste : « Il faudra se résigner à vivre ainsi. » Assistance sociale et deuil de capacité. Elle voulut en finir, mais n’avait pas ce qu’il fallait sous la main. Au lieu de tenir sur ses responsabilités de mère, cette fois-ci elle a tenue sur… elle! Elle a fini par prendre du mieux malgré les pronostics. Sournoisement, elle constate que la peur du bonheur s’est frayée un chemin en elle. À chaque fois qu’elle s’est vue heureuse, un malheur indigeste venait cogner à la porte pour anéantir ses élans. Tout de même lorsqu’elle fut rétablie, Claudette est allée à la messe, a remis ses souffrances au Bon Dieu et a demandé que le futur soit mieux.
Claudette est ensuite allée offrir son aide aux mourants, en prévention du suicide, aux ainés qu’elles connaissaient bien et aux femmes atteintes de cancer. Ses racines de souffrances, elle les a tressées avec celles des autres éprouvés de la vie et est parvenue à aimer à nouveau, par deux fois.
Lorsque je lui ai demandé, vers la fin de l’entretien, de quelle réalisation elle est la plus fière, elle m’a répondu, après un court silence bien marqué et les yeux remplis de vérité : « C’est que je puisse encore m’émerveiller de la vie après tout ce que j’ai vécu! » Claudette laisse en héritage dans les églises de la région des dizaines de tonnes de souffrances dont elle s’est départie et le cadeau de Noël le plus grand qui soit, sans oublier l’émerveillement qu’elle a miraculeusement fait pousser au beau milieu du champ de cendres que fut sa vie.





